Aujourd’hui, je reprends un article d’Eric Rolland, Consultant en Ressources Humaines. C’est une réponse qu’il a rédigé suite à mon article sur La Gestion des « non-talents » !
Faut-il vraiment parler du management des talents?
Pourquoi j’ai du mal avec le notion de Talent ? Mais il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.
La grande mode aujourd’hui en termes RH dans les entreprises est cette notion de gestion des talents. L’idée souvent mise derrière: comment je gère ces exceptions? Je suis tombé dernièrement sur cet excellent article d’Alex. Autant je rejoins son analyse, autant j’ai envie d’y apporter quelques constats personnels.Pour les flemmards, qui souhaitent une synthèse, que nous dit Alex:
On peut distinguer 2 approches de la Gestion des Talents:
- L’une élitiste: dans ce cas là, il faut aussi penser à gérer les non-talents
- L’autre humaniste: dans ce cas là, il faut aider les collaborateurs à trouver et exploiter leur propre talent.
L’un des exemples donné: amener la personne à accéder soit à un poste de DG, soit à un poste de responsable des services généraux.
Et c’est à partir de là que je souhaite compléter.
Car ça voudrait dire que pour être talentueux, il faut être capable d’assumer des responsabilités ? Alors pourquoi j’ai du mal avec cette notion de talent ?
Générateur de clivages
Regardons cette expérience (si quelqu’un me redonne le contexte exact, je l’en remercie d’avance) :
Des chercheurs débarquent dans une université dans des milieux défavorisés, pour faire des tests sur les élèves. Leurs résultats sont sans appel, une trentaine d’élève sortent du lot, ont un QI et un potentiel plus important que la moyenne. La suggestion faite est alors de créer une classe les regroupant.
A l’issue de l’année écoulée, en effet, les résultats scolaires sont largement au dessus de la moyenne, la quasi totalité des élèves réussissent leurs examens.
Lorsque les scientifiques reviennent pour faire le suivi, ils avouent alors que ces «cobayes» n’avaient pas de réelles capacités, et que tout cela fait partie d’une expérience grandeur nature. Alors pourquoi de meilleurs résultats dans cette classe?
L’explication vient du regard porté par les enseignants sur ces élèves, et de la place qui leur a été laissée. Comme on a cru en eux, ils y ont cru eux même. On en revient aux complexes mécanismes des signes de reconnaissance et de l’estime de soi.
Quel parallèle avec l’entreprise?
Mon premier constat est que pour les sociétés, la notion de talent est souvent assimilée à la notion de potentiel. La demande d’ailleurs pour laquelle je suis souvent sollicité: comment identifier les talents en entretien de recrutement ? La démarche est donc élitiste.
Elle a un double impact: regarder et manager différemment ces talents d’une part, mais aussi de «ghettoïser» les autres.
Que se passe-t-il alors?
La prophétie auto-réalisatrice: ce ne sont pas des talents, je ne les manage donc pas comme tel, et au bout du compte, je constate qu’en effet, ils n’ont rien de talentueux… J’ai juste confirmé ma croyance de départ.
Assimilé à responsabilité forte, voire hiérarchique.
Imaginez que dans une équipe de 15 personnes, les 15 aient des ambitions de devenir kalif à la place du kalif. Si vous n’avez que des tops commerciaux, qui gère le back office? Bref, est-ce que le management des talents, c’est forcément d’avoir des leaders, des gens qui veulent « casser la baraque ».
Lors d’un coaching d’équipe, le groupe doit se mobiliser tous ensemble pour résoudre un problème. 18 personnes autour du jeu, forcément, les comportements de chacun sont différents: entre ceux qui prennent le lead, ceux qui se mettent en retrait, ceux qui essaient à un moment puis se retirent, ceux qui observent et qui interviennent au moment décisif….
La question qui les a frappé: « En quoi la non participation de certains à favorisé l’avancée vers l’objectif ? » La réponse est que si finalement, chacun s’était rué sur le jeu, il aurait été impossible d’y arriver, et que pour être efficace dans un groupe, il ne s’agit pas forcément d’agir tout le temps. Certains sont plus à l’aise dans certaines étapes que dans d’autres, dans certains rôles que dans d’autres… Bref, le «talent» est très contextualisé à la situation, et ne serait donc pas un état de grâce.
On peut aussi avoir comme talent de simplement bien faire son travail, et de s’épanouir en le faisant. Si le plus beau des talents était d’être heureux finalement?
Un terme RH, par les RH, pour les RH
Enfin, qui parle de talent.
Là aussi, chez ceux qui en parle, j’ai parfois le sentiment d’un côté élitiste. « Moi, je sais ce qu’est un talent ». Beaucoup sont managers « haut potentiel », milieu RH ou formation.
Parlez de cette notion de talent à des opérationnels et des middle-managers, et observez la réaction. Je me suis amusé à le faire dans plusieurs entreprises, et j’ai vu apparaitre des yeux de Gobi… Je ne suis pas sûr que ça leur parle vraiment.
Alors est-ce que ce n’est pas finalement un moyen de se faire plaisir, ou de paraitre au dessus de la masse en utilisant des termes que ne comprennent pas la majorité ? (tiens, ça me rappelle un autre article…)
Et pourtant, dans cette notion de talent, il y a des choses qui m’attirent.
Le côté humaniste:
Chacun a un talent, plus ou moins caché, plus ou moins conscient.
La démarche consiste alors à accompagner l’épanouissement de ce talent chez l’individu, de lui permettre aussi de trouver le contexte dans lequel il pourra mettre en avant ce talent.
C’est finalement la démarche que nous utilisons lors de repositionnement professionnel. Il est simplement dommage que ce soit en phase de rupture ou de difficulté que l’on se penche sur cette question.
Le côté militant:
Aborder le talent comme existant chez chacun, c’est se battre pour changer le regard que l’on porte sur l’autre. En tant que manager, décideur, je peux regarder ce que fait mon interlocuteur. Je peux aussi le regarder et chercher avec lui quel est sa spécificité.
«Il est plus diffuse de désagréger un atome qu’un préjugé» disait Einstein. C’est pour ça que se battre pour cet objectif a de la valeur à mes yeux.
Le côté exigeant et bienveillant:
Parce que manager, accompagner avec ce regard, c’est finalement aussi manager en croyant en l’autre.
Dans un autre contexte, je suis papa. Mon ainé a dernièrement eu une baisse dans ses résultats scolaires, dans une matière dans laquelle il est généralement bon. Le discours que son professeur et moi même lui avons tenu n’était pas ses notes, qui restaient honorables, mais bien qu’il gâchait un talent. Car il a le potentiel pour faire mieux.
Notre exigence, et notre croyance en sa capacité à être excellent dans cette matière l’a reboosté. La reconquête de son niveau s’est aussi faite grâce à notre exigence et notre bienveillance.
En conclusion, pour bien parler de talent, j’aurais envie de laisser 2 messages à mes interlocuteurs
- Ne pas faire de confusion entre avoir un talent et être un talent. Considérer les personnes comme étant des talents pouvant amener à la catégorisation, premier pas vers le stéréotype et à termes, un risque de discrimination.
- Ne pas tomber dans le piège qui laisse entendre que pour sortir du lot, avoir un talent suffit. On en oublie que ça se travaille: le génie, c’est 95% de travail et 5% d’inspiration, est-ce que ce n’est pas duplicable au talent?