J’ai été invité il y a dix jours par Hopscotch aux TechDays de Microsoft pour assister aux différentes conférences et tables rondes traitant des Réseaux Sociaux d’Entreprise (RSE), en en particulier de Yammer. Orange, Insead et Microsoft ont présenté des retours d’expérience intéressants. Voici quelques éléments saillants.
On en est toujours à expliquer ce qu’est un RSE…
Lorsque le sujet du RSE intervient, il faut d’abord expliquer qu’il s’agit d’un vrai projet, avec des objectifs, des porteurs, un planning,des usages, un plan d’accompagnement, etc. La notion de « change » est bien sûr fondamentale, le changement ne pouvant intervenir qu’à la condition que les utilisateurs y gagnent quelque chose. La question récurrente est donc : « what’s in it for me ? ».
Les objectifs à cibler sont également clés en regard du lancement d’un RSE. L’Insead a choisi d’utiliser leur RSE pour fournir des informations aux étudiants en remplacement d’un Intranet. Volonté également de rendre des services au Staff, l’Insead étant assez isolé en terme de localisation : chaise bébé a vendre, places de ciné, etc. L’enjeu pour l’Insead est de rendre des services qui n’ont rien à voir avec le travail.
Orange a également décidé de démarrer hors de toute logique métier et d’aider à ce que les collaborateurs se connaissent davantage, le groupe étant gigantesque. Le profil du RSE est connecté au référentiel de profils de l’entreprise, administré dans un autre système. Un bouton est présent sur ce dernier profil avec un libellé : « En savoir plus sur moi », qui renvoie vers le profil du RSE.
Une consigne a été donnée au Top-management d’Orange de ne pas participer afin de ne pas donner l’impression aux collaborateurs qu’il s’agit d’un Big brother. A titre perso, je trouve toujours cela risqué car c’est une position à double tranchant. Si tenir le management à l’écart peut offrir au démarrage un plus grand sentiment de liberté aux collaborateurs, cela renforce tacitement l’idée que le management est là pour contrôler plus que pour coordonner.
En écoutant les intervenants, on a quand même l’impression que les entreprises ressentent l’intérêt d’un RSE, poussés par le succès des médias sociaux dans la sphère personnelle, mais n’identifient pas clairement les problèmes auxquels ils peuvent répondre. D’où la nécessité de définir un vrai projet…
En résumé, le travail d’évangélisation expliquant que les RSE ne constituent pas à un phénomène de mode, mais répondent au contraire à une évolution profonde des attentes et comportements de tout un chacun, est encore nécessaire ! Ce n’est qu’après cette prise de conscience que l’implémentation d’un RSE prend selon moi tout son sens.
Comment faire du projet un succès ?
La première condition de réussite n’est pas technologique mais culturelle. Comme le dit Microsoft, il faut « lâcher prise » ! Il faut accepter d’abandonner les canaux de communication traditionnels et vouloir que l’information circule autrement. Par exemple, Alain Crozier (Président de Microsoft France) a échangé en live sur Yammer avec les salariés afin de répondre à leurs questions, sortant ainsi de l’habituelle descente d’information top-down relayée par les managers. Cette illustration est très intéressante car le célèbre « mot du Président », qui était l’un des best-seller des Intranet, passe avec un RSE d’une logique de stock à une logique de flux !
Cela s’inscrit globalement dans la proposition d’une vision claire relative aux nouvelles méthodes de travail à mettre en œuvre. L’outil est en effet là pour supporter des méthodes de travail, pas pour les provoquer de façon fortuite.
Cibler des quick win (actions simples aux effets immédiats) est également un facteur clé de succès. Insead étant dans une culture du Bring your own device, les étudiants peuvent souvent rencontrer des problèmes techniques. En poussant les trucs et astuces techniques dans leur RSE, l’adoption de l’outil est facilitée car l’intérêt est immédiat. Même chose côté Orange où l’entreprise a fait de nombreuses économies concernant la réalisation d’une nouvelle Box grâce à un ingénieur qui a fait part d’une trouvaille, et a rendu obsolète un grand nombre de procédures correctives.
L’identification de sponsors reste un élément clé car c’est à eux d’encourager l’adoption du RSE. En cela, les community managers constituent selon Microsoft des animateurs de choix, d’autant qu’ils peuvent être rompus à des techniques d’animation. Un sponsor au niveau du management est également clé, ne serait-ce que pour communiquer une vision claire sur les méthodes de travail à mettre en œuvre, associées au RSE, et engager les collaborateurs. En fait, il faut envisager différents types de sponsors : leaders d’opinion ou influenceurs, décisionnaires, contributeurs, etc.
Par ailleurs, s’assurer de l’intégration du RSE avec des sources fiables de données est essentiel pour apporter du contenu, et donc de la valeur ajoutée, dans l’outil. A ce titre, Microsoft dispose d’un atout en bénéficiant de Sharepoint pour stocker tous les documents auxquels les utilisateurs de Yammer souhaiteraient accéder. Sharepoint peut alors assumer pleinement son statut d’Intranet puisque l’utilisateur final accède à un RSE par nature plus ergonomique.
J’ai été étonné d’écouter des retours d’expérience d’entreprise qui avaient implémenté des RSE hors de toute logique métier. Il me semble que l’un des problèmes rencontrés en matière d’adoption des RSE est que ces outils sont parfois perçus comme des coquilles vides. Pourquoi aller créer un groupe sur un RSE quand je peux déjà le faire sur Facebook ou Google+ ? Au contraire, l’intégration du RSE à des processus métier, visant à répondre à des enjeux et objectifs opérationnels ou business, permet d’éviter de se poser la sempiternelle question du « à quoi ça sert ? ». Y’aurait-il un décalage entre l’avis des experts (@bduperrin, @aponcier, @claudesuper, …) quasi unanimes sur la nécessaire intégration RSE-processus métier et l’avis des entreprises qui mettent un RSE en place ?
Quels sont les pièges à éviter ?
L’un des pièges à éviter selon Microsoft est d’attendre trop longtemps pour démarrer un projet, dans la mesure où les projets RSE sont très incrémentaux ou itératifs. On apprend en marchant, plus encore que sur d’autres types projets. Viser le plan parfait est une erreur. Ce n’est pas une raison pour autant de ne pas bâtir un projet (cf. point 1).
Orange souligne qu’il ne faut pas omettre les différences inter-culturelles lors de la mise en place d’un RSE. Les habitudes en matière de communication peuvent être très différentes d’un continent à l’autre, voir d’un pays à l’autre. Dans la mesure où un RSE s’adresse à l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, le projet doit prendre très sérieusement cet élément en considération. Cette problématique concerne tous les projets informatiques, mais dans la mesure où les usages collaboratifs sont plus informels et moins structurés que les usages attendus autour d’un SIRH ou d’un Intranet (plus processés), la question de l’appropriation est plus sensible encore.
Dans cette même perspective, l’implémentation d’un RSE doit s’insérer dans une stratégie d’entreprise, visant par exemple : à réduire le nombre d’emails, à horizontaliser l’organisation, à favoriser les échanges inter-services et donc l’innovation, etc.
L’impression générale que j’en retire est qu’il existe à présent quelques témoins d’expérience (plus ou moins) réussies d’utilisation de RSE, mais on est encore loin d’avoir fait des RSE une commodité. Les consultants travaillant dans ce domaine ont encore de beaux jours devant eux 😉
Ah excellente question.
Disons qu’il ne faut pas faire d’un cas une généralité. Aujourd’hui je vois infiniment plus d’entreprises qui voient le RSE comme un outil de travail, dont une partie des finalités est directement ou indirectement productive que comme un simple espace de rencontre déconnecté des réalités opérationnelles et managériales dont on espère qu’il donnera quelque chose et aura un impact positif sur l’opérationnel mais sans pousser de manière volontariste dans cette direction.
La plupart des projets que je vois aujourd’hui virent des vers « digital workplace » en faisant du RSE le carrefour des flux d’informations, un lieu d’apprentissage, de networking, mais aussi d’action et de décision.
Après tous les choix sont possibles. Un RSE impacte en gros les dimensions suivantes : learning, exécution, communication/engagement, networking hors flux de travail. On peut bien sur décider de le positionner sur ces quatre dimensions ou en favoriser une ou deux ou faisant l’impasse sur les autres. Tout est légitime en fonction du contexte et du besoin. La seule question est de ne pas, a posteriori, venir dire qu’on n’a construit qu’une immense machine à café virtuelle et qu’au niveau business l’impact est infinitésimal.
Tu connais ma position : à investissement égal autant toucher tout le scope et ne pas laisser d’opportunités en route sauf si c’est un choix vital et délibéré dicté par le contexte. Mais là je joue mon « père la raison » : aussi convaincu que je sois par le potentiel de ces outils il est un nombre de zéros sur le chèque final à partir duquel, si j’étais le donneur d’ordre, j’exigerai qu’on fasse autre chose qu’un espace de discussion poli ou une machine à café virtuelle géante.
Et un dernier point sur les community managers : l’animation d’un espace « hors business » est affaire d’animation et de légitimité de l’animateur. Par contre plus l’animation est nécessaire plus on se posera la question de la valeur ajoutée de la communauté, du sens de la participation pour les membres voire de l’acceptation du dispositif dans la culture et le modèle managérial de l’entreprise. Par contre lorsqu’il s’agit de faciliter échanges et coordination au sein d’une équipe ayant un objectif c’est le rôle du manager. A moins qu’on se désintéresse totalement du travail et de la raison pour laquelle on a recruté des personnes et pour laquelle elles viennent travailler le matin.
Bon l’ami Bertrand a déjà grandement développé ma pensée donc je vais faire court. En effet, il ne faut pas faire d’un exemple une généralité. C’est pour cela que dans mon ouvrage 101 questions sur les RSE, j’avais fait le choix de ne pas émailler l’ensemble des questions d’exemples. En plus, les cas que tu cites, ne sont pas représentatifs.
L’Insead n’est pas une entreprise et donc n’a pas d’objectifs business, mais cible des besoins d’usagers, que ce soit son staff ou ses étudiants. On est donc bien dans le même cadre. Répondre aux besoins de ses parties prenantes.
Le cas d’Orange est à part, et à ma connaissance c’est la seule boite qui à fait ce choix au départ, même si je crois savoir que le business est en train de revenir en force malgré tout au sein de leur RSE.
L’idée est avant tout de répondre à un besoin pour l’entreprise et les collaborateurs et généralement dans une entreprise il est business, sinon j’ai FB ou mieux le café du coin si je veux du convivial. Et c’est normal de parler business sur un RSE. Tu sors avec ton club de rugby, à la 3eme mi-temps tu parles à 80% rugby, c’est ce qui vous réunit. Et bien dans une boite, ce qui réunit les gens c’est le boulot, donc naturellement c’est vers cela qu’ils se tournent.
En plus comme le fait remarquer Bertrand, au regard du prix de certaines solutions, ça fait cher la machine à café. Mais ne nous mentons pas, dans beaucoup de boite, même un discours business, cela a surtout servit à fluidifier la communication et pas beaucoup plus. Car pour aller plus loin, il aurait fallut remettre un plat un certain nombre de process business et RH et on en est loin. D’où le chiffre important de Gartner (80%) sur les échecs de projets collaboratifs.
Et puis surtout, je suis obligé d’utiliser l’ERP de la boite, aussi peu sympa soit-il. Le RSE est encore optionnel, donc à moins de donner envie ou d’avoir une bonne raison d’y aller, aucune chance de m’y voir, j’ai autre chose à faire. Et donner envie, ce n’est pas un bon guide utilisateur, comme le font trop souvent les consultants, qui le va faire. Si la notice d’un appareil donnait envie, ça se saurait depuis longtemps.
Merci pour cet éclairage Bertrand !
J’aime bien ta métaphore de la machine à café virtuelle. De ce que j’en ai vu, ça marche assez peu parce que comme tu le dis ça fait cher pour une machine à café, et ça ne remplace par le contact humain, donc ça génère toujours de la déception et le fameux ROI est jugé insuffisant.
En revanche, étant donné que les attentes et us et coutumes en matière de communication ont changé, l’usage d’un RSE me semble à court-moyen terme indispensable pour faire évoluer le fonctionnement de l’entreprise et fluidifier des processus métiers. Au risque de me répéter, les process RH se prêtent bien à plus de collaboratif puisque par nature ils concernent l’ensemble des processus de l’entreprise. Et comme la RH est aussi responsable du learning, qu’elle doit faciliter l’exécution, renforcer l’engagement, ça tombe plutôt bien 😉
J’espère qu’on aura l’occasion d’en reparler lors de l’E20 Summit.
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Merci Anthony !
Tu connais mon avis sur l’utilité des RSE « machines à café ». Et je suis d’accord avec toi sur le caractère peu représentatif de ces exemples… mais alors pourquoi avoir invité ces intervenants à parler lors des TechDays (dont ce post est un short recap) ? Pourquoi ne pas avoir plutôt faire parlé une entreprise expliquant comment leur RSE supporte leurs processus d’innovation ?
As-tu vu des bons cas Yammer ?
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C’est la premièr fois que j’entends parler de l’Insead, mais justement ça change un peu des entreprises. En cela pourquoi pas. Et Microsoft s’adresse aussi aux institutions.
Concernant Orange, c’est LE témoignage emblématique pour Microsoft, puisque toutes les entreprises en France le considère comme un exemple à suivre. On m’en a encore parlé aujourd’hui chez un client. Chaque éditeur à sa star, comme Knowledge Plazza avec Lafarge ou Blogspirit avec My Simply Market. Le bon retour, avec le bon speaker qui accepte de témoigner. Pas toujours simple à trouver.
Et oui pour Yammer il y a de bons cas et retour d’expérience. Après on peut se demander si SP 2013 est si bien, pourquoi racheter Yammer, ça doit faire doublon…
Bertand et Anthony ayant déjà fait la plus grande partie du boulot ;-). juste quelques mots
En ce qui me concerne, je suis surpris que l’étendard des RSE soit toujours et encore porté par des éditeurs de solutions !
Pour travailler avec leurs équipes (MOE), je ne trouve que peu de valeur ajoutée fonctionnelle, organisationelle ou opérationelle dans leus apports et contributions !
Le RSE est un projet à la fois COM, RH et métier pour une meilleure performance économique et accessoirement un mieux être humain et social, aussi peu importe souvent la plateforme technique si les objectifs (court et moyen terme), le périmètre, l’animation et les ressources ne sont pas clairement précisés.
RSE ou pas, les Tech days sont une autre occasion de « surfer » sur une tendance pour vendre des licences et du service, pas de la méthode, ni des « bonnes pratiques » pour réussir des intiatives cractérisées par une singularité liée à la culture des entreprises qui s’y lancent et de leurs objectifs.
On en parle à l’E20 Summit.
Merci Claude pour ce commentaire.
C’est amusant parce que l’informatique est décidément cyclique. Cette réflexion sur les outils est la même que celle que nous avions à propos du KM il y a 10 ans quand on disait que les éditeurs ne devaient pas mener les réflexions.
L’exemple de la machine à café était d’ailleurs déjà cité comme meilleur outil de communication 🙂
La problématique est toujours la même : les outils, en l’occurrence les médias sociaux, créent les opportunités, un peu comme Cameron qui a du attendre 15 ans pour faire Avatar car la techno ne le permettait pas avant.
Mais ce n’est pas la techno qui a fait Avatar, c’est l’imagination de Cameron. Il faut donc une vision du collaboratif dans SON entreprise, et pas dans une entreprise en général, puis se demander quel techno va accélérer la mutation. C’est à ce moment que le choix d’un éditeur doit intervenir selon moi, pour soutenir la vision plus qu’apporter telle ou telle fonctionnalité.
Et oui, on en reparle à l’E20 😉
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Tiens j’ai même un bon exemple ou non seulement le RSE sert (entre autres) la dimension exécution mais ou un gros effort a également été fait sur l’intégration des environnements « sociaux » et « pas sociaux ».
http://duperrin.com/blogs/lotusphere/2013/01/31/3m-activity-stream-ameliorer-efficacite/
Thanks !
Oui Alex tu as raison, c’est la parfaite illustration du nécessaire (la techno) qui n’est pas suffisant (besoin de management, de conduite du changement, d’objectifs précis, évolutifs et mesurables, etc.) pour « transformer » un projet réussi en véritable outil au service des métiers donc de l’entreprise dans sa diversité et ses contraintes.