Bouillon de Talent #9 avec Antoine Tirard

Pour ce mois de juillet, c’est Antoine qui se prête aux questions du Bouillon de Talent. Bonne lecture !

Qui suis-je ?

Fondateur et dirigeant de NexTalent, cabinet spécialisé dans le management des talents. J’aide les entreprises internationales confrontées à des problématiques de croissance, d’innovation ou de transformation.

Précédemment, j’ai occupé des postes de DRH et de gestion des talents dans des grands groupes tels que LVMH, Novartis ou L’Oréal.  Passionné par l’international et l’interculturel, j’ai travaillé en France, au Maroc, en Suisse et aux Etats-Unis.

Je suis également l’auteur d’un livre sur la révélation des talents.

Plutôt gestion des compétences ou management des talents ?

Plutôt management des talents, même si l’un n’empêche pas l’autre. Le management des talents est devenu une priorité pour les entreprises. La démarche consiste à relier directement la stratégie de l’entreprise avec la quantité, la qualité et la diversité de talents nécessaires dans les postes clés pour mettre en œuvre cette stratégie. On sait aujourd’hui qu’une entreprise qui arrive à nommer ses futurs dirigeants en faisant appel à son vivier interne – plutôt que de recruter à l’extérieur – réussit mieux. Pour moi, le management des talents est donc un processus dynamique et continu d’identification, d’évaluation et de développement systématique des talents pour les futurs postes clés, qui permet d’assurer la continuité et la performance de l’entreprise. C’est donc fondamental.

Qu’est ce que le talent pour toi ?

Ma définition opérationnelle d’un talent est une personne qui produit régulièrement des résultats supérieurs, et qui a le potentiel de progresser rapidement vers des postes à plus grands niveaux de responsabilité ou de complexité dans les trois ou cinq années à venir.

Evidemment, la question qui vient ensuite est « comment est-ce qu’on peut évaluer ce potentiel ? »  Ce talent à potentiel, c’est d’abord quelqu’un qui a une forte capacité d’apprendre par l’expérience, qui est curieux, à l’aise dans la complexité et l’ambiguïté, qui s’adapte et performe sous la pression, qui initie les changements. Les anglais parlent de « learning agility ».

C’est aussi une personne qui a une certaine ambition, c’est-à-dire qui est motivée à diriger et développer les autres, qui veut et se donne les moyens progresser, et qui comprend les exigences et les compromis d’un poste de direction.

Mais, l’agilité et l’ambition ne suffisent pas. On doit être vigilant de ne pas construire un vivier de « mercenaires ». Aussi, le talent c’est aussi quelqu’un qui doit incarner, voire être exemplaire par rapport aux valeurs de son entreprise, et qui affiche un engagement et une passion sans faille pour le business et l’entreprise dans laquelle il est investi.

Cite-nous une personne publique que tu considères comme un talent, et pourquoi ?

Plusieurs noms me viennent spontanément à l’esprit: Théodore Roosevelt, David Bowie, Richard Branson. Théodore Roosevelt, qui a été un des plus jeunes présidents des Etats-Unis, incarne remarquablement cette notion de personne « agile », curieuse de tout, capable d’apprendre,  prête à prendre des responsabilités et à évoluer. Il a été à la fois homme politique, historien, explorateur, auteur et officier. Dans un autre registre, David Bowie illustre avec brio cette capacité à développer ses talents dans de nombreux domaines. Il a été chanteur, auteur, acteur, multi-instrumentiste, producteur, et homme d’affaire exceptionnel. Il a su constamment se réinventer, comme en témoigne la diversité de son œuvre. Richard Branson, est aussi un bel exemple de personne « agile » avec cette aptitude typiquement entrepreneuriale de voir les opportunités de business là où personne ne les voit, et cette capacité à expérimenter sans cesse en apprenant de ses erreurs.

Mais attention, ces exemples ne doivent pas nous laisser penser qu’un talent est forcément visible du grand public! Les talents sont partout. L’expression de leurs forces et de leurs qualités prend des formes multiples. Assez souvent même dans les entreprises, les talents sont « cachés ».  Toute la difficulté, c’est de repérer ces talents le plus tôt possible et d’investir dans leur développement et ainsi réaliser leur potentiel.

Pourquoi parle-t-on tant de talent aujourd’hui  ?

Je vois trois raisons principales. D’abord pour les entreprises, particulièrement les groupes côtés, l’impératif d’avoir des plans de successions solides pour assurer la continuité des performances a été mise au premier plan ces dernières années. On a vu la règlementation concernant la gouvernance des entreprises évoluer dans ce sens. En réponse les entreprises ont dû renforcer leur dispositif de management des talents.

D’autre part, à l’échelle mondiale on voit apparaître de véritables pénuries de talents qui vont continuer de s’amplifier du fait de la redistribution du pouvoir économique des pays développés vers les pays émergents, et des évolutions démographiques. En Chine par exemple, malgré l’abondance de main d’œuvre, les talents qualifiés, capables de s’intégrer dans des entreprises internationales sont rares, ce qui entraîne une véritable guerre des talents.

Je crois enfin qu’on parle plus de talent aujourd’hui parce qu’on comprend un peu mieux en quoi consiste le talent. Le management de talent est une discipline qui a gagné en sophistication et en maturité, grâce notamment aux apports de la recherche appliquée et au partage de bonnes pratiques.

Penses-tu qu’il existe une approche plus européenne qu’anglo-saxonne du talent ?

C’est une question qui m’interpelle particulièrement, ayant travaillé dans des entreprises françaises (L’Oréal et LVMH) mais aussi dans des entreprises anglo-saxonnes, de par leur origine ou leur mode de management (Novartis, Clifford Chance).

La première différence que j’ai pu observer concerne la définition du talent. Je dirai qu’elle est moins restrictive dans l’approche anglo-saxonne. En France, où la culture est restée trop (selon moi) statutaire et élitiste, on a encore tendance à définir les talents par rapport à leur formation initiale ou leur âge. On reconnait mois l’idée qu’une personne peut développer des compétences de leadership tout au long de sa carrière, ce qui est beaucoup moins le cas dans l’approche anglo-saxonne, où on est prêt à prendre des risques et « investir » sur un talent.

L’autre grande différence est dans la manière dont les pratiques de management des talents sont organisées et déployées dans les organisations. Sans trop caricaturer, je dirais que l’approche Européenne, voire latine, a tendance à laisser une part plus grande à l’informel, et à la subjectivité. Elle est aussi plus secrète, moins transparente. A l’inverse l’approche anglo-saxonne se veut plus structurée, objective, systématique et accessible au plus grand nombre. Cette approche est plus « processée » et fait appel à un plus grand nombre d’outils. C’est d’ailleurs souvent ce que reprochent les filiales européennes de multinationales américaines à leur maison-mère.

Les 3 priorités du management des talents ?

Mes clients, qui sont les directeurs du management des talent d’entreprises, me font part de leurs préoccupations que je résumerai autour des thèmes suivants :

Accroitre et diversifier le pipeline de talents, améliorer les plans de succession

C’est la priorité numéro un. Aujourd’hui la majorité des entreprises estiment avoir des plans de succession insuffisants et ont fixé comme priorité d’améliorer leur viviers internes de talents pour leur permettre de réaliser leur objectifs de croissance. A peine une entreprise sur quatre indique avoir les bonnes stratégies et les pratiques pour identifier et développer ses talents.

Attirer, développer et retenir les talents dans les marchés émergents

La mondialisation des marchés et le déplacement de la croissance vers les marchés émergents créent d’énormes tensions pour les directeurs Talents. Il faut à la fois attirer, former, développer et retenir les talents locaux dans les pays émergents, et en même temps repenser les politiques globales de management des talents : quel nouvel équilibre entre les expatriés et les talent locaux pour les postes-clés, quel nouveaux modèles de compétences de leadership, etc. ?

Mettre en place des politiques cohérentes de management des talents à la fois globales et décentralisées

C’est un autre casse-tête des directeurs Talents. D’un côté la responsabilité du management des talents est décentralisée et poussée vers les managers opérationnels, en partie à cause de budget restreints, ce qui a l’avantage de les responsabiliser et qui permet un meilleur impact ; d’un autres côté, il faut veiller à maintenir des politiques intégrées, harmonisées et cohérentes, pour ne pas créer de complexité et assurer une plus grande efficacité globale.

Comment repère-t-on un talent quand on le croise ?

Je reviens aux critères d’agilité d’apprentissage, d’ambition et d’engagement que j’ai mentionnés un peu avant. Si je croise une personne – et que je passe un peu de temps avec elle ! – et que celle-ci pose beaucoup de questions pertinentes, fait preuve de curiosité, cherche constamment à améliorer les choses, est force de proposition, démontre son envie de prendre des responsabilités et sa capacité d’adaptation, j’aurai là un faisceau d’indices pointant vers le potentiel, donc le talent.

L’un des problèmes, c’est que le talent n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur. J’ai rencontré des situations où un manager médiocre ayant un haut-potentiel dans son équipe n’était pas capable de reconnaître son talent. Celui-ci demandait beaucoup d’attention, irritait parfois son responsable par de trop nombreuses questions ou remises en cause de l’existant, et était finalement perçu comme une menace par ce dernier.

Quels sont les 3 impairs à ne pas comettre avec un talent ?

C’est une question très importante à laquelle les managers ne sont pas bien préparés.  D’abord, les talents ont besoin d’avoir un feedback fréquent sur leur performance. Ils veulent savoir s’ils ont atteint les résultats attendus, et savoir comment s’améliorer. Un premier impair est donc de ne pas leur donner de feedback, ou pas assez souvent, ou de le faire de manière trop vague.

Le deuxième impair est de ne pas bien gérer leurs attentes de développement de carrière. Pour grandir, les talents ont besoin de missions ou de postes qui vont les amener à prendre en charge des défis, et se dépasser (les anglais parlent de « stretch assignments »). Ces missions, qui doivent être à la fois variées et intenses, vont leur permettre de nourrir leur besoin de progresser et permettre à l’entreprise de les préparer – plus vite que d’autres – à des postes à plus grandes responsabilités, dans des domaines qui répondent aux enjeux d’avenir.

Pour autant, et c’est là le troisième impair, il en s’agit pas de « lâcher un talent dans la nature » sans lui apporter une certaine protection.  Dans certains cas, le talent va échouer, et il faut pouvoir le rattraper, lui donner d’autres chances. C’est une fois encore le rôle du responsable hiérarchique, mais plus largement aussi celui du DRH et du comité de direction de l’entreprise. Une bonne pratique consiste à proposer à un talent un mentor interne, le plus souvent un manager expérimenté qui servira de guide et de conseil.

As-tu du talent ou es-tu un talent ?

Question difficile… Je pense posséder un certain nombre de « talents » c’est-à-dire des compétences ou des savoir-faire qui me caractérisent, tels que une capacité d’analyse et de résolution de problèmes, le sens de l’écoute ou la capacité à développer et entretenir mon réseau professionnel. Quant à savoir si je suis « un talent », c’est une question relative à laquelle seule une entreprise qui m’emploierait pourrait répondre, ce qui n’est plus le cas puisque je suis depuis plusieurs années mon propre patron, dirigeant mon cabinet de conseil !

Quelles sont d’après toi les futures tendances de la gestion des talents ?

Je pense que les entreprises vont continuer à professionnaliser leurs pratiques de management des talents et à responsabiliser le plus possible les managers opérationnels sur ces activités. Je fonde également beaucoup d’espoir sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Les fournisseurs de logiciel et de systèmes de management des talents sont poussés à innover dans des domaines comme le talent analytics, les technologies mobiles, le social recruiting, et proposent des solutions plus intégrés avec des interfaces plus conviviales. L’accès et la plus grande richesse des données ‘talents’, les possibilités d’analyses prédictives… tout cela contribue à améliorer la qualité des décisions en matière de management des talents, tant pour les dirigeants Talent ou RH que les opérationnels.