Pour ce premier billet de l’année, je tenais à partager avec vous un véritable choc cinématographique : Whiplash ! Où comment un professeur de musique, soucieux de révéler le nouveau Bird, pousse ses élèves dans leurs retranchements… jusqu’à la limite du supportable. Le film, excellent par ailleurs tant dans son scénario que sa mise en scène ou par le jeu de ses acteurs, pose fondamentalement deux questions cruciales – attention spoiler 😉
Quelle est la différence entre ambition et obsession ?
Le film dépeint parfaitement l’ambition d’un jeune homme américain tout à fait « ordinaire », dont le père n’a pas atteint les cimes auxquelles il aspirait, qui rêve de devenir le meilleur batteur de sa génération. On sent dès le début du film qu’il est prêt à travailler comme un acharné, et à souffrir s’il le faut pour atteindre son but. Sa motivation prend sa source dans ce qui s’apparenterait à une forme de « revanche sociale », par rapport au sort de son père, sa famille, ses origines sociales, etc.
Petit à petit, ce personnage va franchir certaines limites, s’affranchir d’une certaine éthique, effectuer d’importants sacrifices dans sa vie personnelle, afin de travailler toujours davantage pour répondre aux sollicitations de son professeur (que l’on décrira juste après). Le film montre magnifiquement comment peu à peu, son ambition initiale vire à l’obsession, au point d’en perdre quasiment la raison.
En sortant du film, je n’ai pu m’empêcher de me poser la question suivante : à partir de quand ce qui s’apparenterait à de l’ambition, sachant qu’avoir de l’ambition peut s’avérer sain et stimulant, vire à la quête obsessionnelle de réussite ? Au point d’en oublier l’essence même du but poursuivi…. Je pense que la réponse se trouve simplement dans les sacrifices que l’on est prêt ou non à réaliser, et dans les croyances ou valeurs sur lesquelles on est prêt à « s’asseoir ».
Le caractère obsessionnel de la réussite se trouve selon moi dans l’oublie de soi. Quand on commence à bafouer ce qui constitue nos fondations éthiques et sociales, alors c’est que l’on est en train de riper. C’est dans ce type de période qu’il vaut mieux avoir des vrais amis autour de soi ;).
Jusqu’où peut-on aller pour révéler un talent ?
Evoluant aux côtés du jeune élève, le film montre un professeur dont l’ambition ou la quête est de détecter le prochain Charlie « Bird » Parker de sa génération. Ce qui est passionnant dans ce film est de voir cette même ambition virer à l’obsession. On se retrouve alors à suivre la relation de deux personnages en train de franchir les limites. Mais dans le cas du professeur, de quelles limites s’agit-il ?
L’ambition de permettre à ses élèves de révéler tout le potentiel qu’ils ont en eux est plus que louable ! La question est de savoir quels sont les moyens que l’on peut employer pour achever cette belle entreprise. A un moment donné, on sent bien que le professeur outrepasse le périmètre de sa fonction et commence à utiliser des leviers psychologiques, souvent retors, pervers, pour pousser les élèves à se donner davantage.
En l’occurence, le professeur tente d’exacerber la soif de compétition entre élèves, en flattant tour à tour l’un ou l’autre, en laissant croire à l’un puis à l’autre qu’il va décrocher la place tant convoitée dans la formation musicale, en alternant le registre de la séduction et de la terreur. Bref, en jouant sur toute la gamme d’émotions propres à l’humain, mais qui va bien au-delà des attributions d’un professeur.
Bien entendu, le harcèlement moral fait partie intégrante de la palette de ce professeur…. Faire sentir que l’autre est un moins que rien, qu’il n’y arrivera jamais, qu’il est source de déception, font partie de la palette d’outils du personnage en question. En lisant ces lignes, on se dit qu’évidemment toutes ces ficelles sont grossières et que l’on ne saurait s’insérer dans ce type de relation, et ce qu’elle que soit l’ambition qui est la nôtre.
Le problème – et c’est là toute la subtilité du film – est que venant d’une personne que l’on admire, à qui l’on confie les clés de sa réussite ou dont on pense a minima qu’elle peut nous ouvrir les portes de la gloire, tous les moyens que je viens de décrire peuvent être vus comme autant de bienfaits, de cadeaux, de grâces, qu’il faut savoir accepter pour opérer sa mue et pouvoir atteindre son Graal.
Là encore, je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec le monde de l’entreprise et la relation manager-collaborateur. Combien de managers, sous couvert de vouloir permettre à chacun de révéler leur plein potentiel, s’avèrent extrêmement durs, cassants, voir humiliants, outrepassant largement les frontières de l’acceptable dans un cadre professionnel ?
Je suis convaincu que même si la révélation d’un talent demande de sa part beaucoup de travail, d’abnégation, voir effectivement de sacrifices, elle ne doit de la part du coach, mentor, manager ou professeur jamais flirter avec des éléments personnels, psychologiques, intimes qui n’appartiennent qu’à la personne, et à la personne seule !
Comment ne pas se laisser dévorer par son ambition ? Comment savoir quelles limites ne pas dépasser, et ce quelles que soient ses – bonnes – intentions ? Vous l’aurez compris, foncez voir ce film, c’est vraiment un bijou, et un véritable thriller psychologique ! Et n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires en sortant de la salle 😉