Comment se fait-il que je n’ai jamais consacré un billet à l’excellente série Suits qui en est déjà à sa 5ème saison ? Alors qu’il s’agit clairement d’une série sur le management et la prise de décision. Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, Suits est aux avocats ce que Urgences était aux médecins. On retrouve même le célèbre tandem Doug Ross (alias George Clooney) et John Carter (alias Noah Wyle) de l’époque. Le tandem mentor-disciple est l’un des principaux ressorts dramatiques de la série. Voici quelques éléments de réflexion émanant de la série.
Personne n’appartient à personne
Sans spoiler la série, on peut quand même dire que Suits raconte d’abord l’ascension d’un jeune avocat que l’un des associés d’un célèbre cabinet à pris sous son aile. L’associé en question lui apprend les ficelles du métier, lui donne ses premiers clients, ses premières victoires, l’accompagne dans ses premières défaites, etc. Il prend même des risques pour son protégé au-delà du raisonnable.
Seulement voilà, comme tout bon disciple qui se respecte, l’élève veut à un moment se mesurer au maître pour savoir ce qu’il vaut. C’est alors que l’on entend le célébrissime : « Comment oses-tu, toi qui me doit tout ? » (ou un truc du genre…).
Il est intéressant de noter que Suits se place dans une vision très paternaliste du management, où le mentor fait clairement sentir à son disciple qu’il lui est inférieur et qu’à la fin, c’est lui qui aura le dernier mot. Et même lorsqu’il le laisse se débrouiller et lui accorder l’autonomie nécessaire à son développement, on sent en toile de fond que chacun des succès de son protégé est un peu le sien. Sans parler de toute la confusion affective qu’engendre cette relation : puisque je te dois tout, es-tu plus qu’un mentor, es-tu en fait mon ami ? Etc.
En revanche, cette relation difficile à définir engendre un engagement rare de la part du mentor et du disciple, les amenant tous deux à prendre de gros risques pour l’autre quand il le faut. Si la profondeur et la pérennité de la relation sont admirables, le sentiment de « propriété » sous-jacente à cette relation constitue un véritable piège.
Je pense qu’il nous arrive dans notre vie personnelle ou professionnelle de rencontrer des gens qui nous donnent des opportunités qui peuvent changer notre vie, mais ce n’est pas pour autant qu’on leur appartient ou qu’on doit leur être redevable à vie. Et Suits, au-delà de ces deux personnages, insiste fréquemment sur ce que les gens se doivent à l’issue des différentes épreuves traversées.
Le juste équilibre se trouve selon moi dans le fait de ne jamais oublier d’où l’on vient, et conséquemment savoir porter le respect nécessaire à ceux qui nous ont aidé, mais savoir rester libre de ses choix et décisions afin de mener notre vie et pas celle d’un autre.
L’équilibre vie pro-vie perso s’applique-t-il à tous les jobs ?
La deuxième chose à laquelle on pense lorsque l’on regarde la série, c’est que les avocats doivent être des membres très actifs des Meetic et autres sites de rencontres, tant leur vie professionnelle laisse peu de place à leur vie personnelle. Les personnages principaux sont soit célibataire, soit ont du mal à trouver de l’espace pour faire vivre leur relation amoureuse.
La question qui se pose est alors la suivante : a-t-on affaire à une bande de personnes en marge de la société qui, ne sachant comment s’y insérer, se réfugient corps et âme dans leur travail ? Ou bien certains jobs requièrent-ils de la personne une abnégation telle qu’elle doit renoncer à sa vie privée afin de connaître le succès dans sa vie professionnelle ?
Clairement, il est des métiers où compter les heures est impossible, et où le fait de produire un livrable à une échéance donnée impose d’y consacrer le temps nécessaire, même si cela mord sur le temps – supposé – libre de l’individu. Mais la série – au travers de certains passages – montre bien comment au-delà d’un certain point, une implication excessive devient contre-productive : jugement faussé, évanouissement, crise cardiaque, bref, autant de réjouissances qu’il vaut mieux éviter.
On se dit alors qu’avant de choisir un métier, il faut déjà bien se connaître et avoir une idée précise de ses priorités, sans quoi on peut risquer de se retrouver dans une vie qui n’est pas celle à laquelle on aspirait….. Mais même en choisissant une voie sur laquelle on décide de s’impliquer au-delà des 35 heures, savoir se fixer des limites et porter attention à son état de santé physique et psychique reste capital. Un bon manager doit assurément aider à y veiller.
Dans tous les cas, toujours jouer l’Homme
Last but not least, la série pousse un message extrêmement intéressant, qui peut s’appliquer à mon avis à presque tous les métiers et toutes les situations : il faut toujours jouer l’Homme ! Pour étayer cette assertion quelque peu obscure, je prendrai la métaphore du poker. La différence entre le fait de jouer au poker en ligne ou jouer à une table, c’est que dans le premier cas on doit s’appuyer principalement sur les probabilités, alors que dans le deuxième cas on peut jouer les personnes présentes à la table : leurs réactions, leurs tics (autrement appelés tells), le fait qu’elles semblent pressées ou non, bref, tout ce qui parle de la personne.
Et Suits insiste énormément sur ce fait. Ce qui compte, quelle que soit l’affaire traitée, c’est de connaître le procureur, le client, toutes les personnes impliquées, comprendre leurs motivations, leurs buts, leurs méthodes de travail. Car une affaire n’est pas une entité organique ! On ne peut traiter une affaire indifféremment des parties-prenantes. Toute action, toute décision, est d’abord celle d’un ou de plusieurs individus. Comprendre cela, c’est se donner les véritables moyens d’atteindre son but. C’est finalement passer du hasard à la maîtrise.
En cela, les personnages de Suits sont des experts en étude du comportement, et ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le mentor (dont on parlait un peu plus haut) est un éminent joueur de poker. Alors repensez à cela lors de votre prochaine négociation, et vous verrez comme cela change la façon dont vous appréhendez la situation et influence vos décisions.
En conclusion, Suits montre bien que la réussite d’un cabinet d’avocats, tout comme celle de n’importe quelle entreprise ou organisation, est d’abord une affaire de personnes. Reste ensuite à savoir comment permettre à chacun de révéler ses talents, et là c’est à nous d’écrire les prochains épisodes 😉
Analyse très intéressante et actuel, merci!
Je trouve qu’une autre question aussi mise en évidence par la série est celle du lien des compétences avec les qualifications, binôme -souvent- piège de la gestion des talents. Sommes nous capables de détecter et cibler les potentiels derrière les parcours académiques et les CVs?
bonjour.
effectivement cette question est également au coeur de la série. et sans spoiler la série, Mike explique bien à une personne qui a découvert son secret qu’il est « toujours le même », montrant par la même comment la perception peut être altérée par le fait d’être diplômé ou non….
merci pour le commentaire et à bientôt 😉
Ah, j’y vois d’autres choses, Cher Alex.
D’abord une affirmation très transgressive; le business n’est pas la finalité en soi, ce n’est qu’un terrain de jeu social qu’on subordonne aux valeurs humaines et à l’élégance morale. Du coup, il faut tordre toutes les pseudo-règles du management pour privilégier la construction d’une communauté humaine à haut niveau d’ethos et de pathos: c’est tout le sujet de l’expression récurrente « we are family » (saison 5, épisode 10, paroxysme et flashback insistant). Je ne vois pas ça comme du paternalisme.
Ensuite, le costume (« suits ») n’est qu’un faux semblant. Les méchants sont largement aussi bien fringués que les gentils, donc c’est pas là que ça se joue.
Sans parler du fait que Jessica ait la clef (de l’appart) d’Harvey.
Bon, tu connais Ludivine (c’est d’ailleurs elle bien sur qui m’a attiré l’attention sur ton post) – Donna Paulsen existe en vrai. Mais son boss n’est pas Harvey;) Ni Louis j’espère…
laurent
Merci pour ton commentaire Laurent ! Et bien sur pour m’avoir incité parmi tant d’autres à regarder Suits !!! :). Je ne regrette pas, sinon que c’est une vraie addiction….
Tu as raison concernant le paternalisme, les choses ne sont pas si manichéennes et c’est un peu un raccourci. J’attirais finalement plutôt l’attention sur ce sentiment « d’appartenance » des uns sur les autres et sur ce que cela peut engendrer….
Quand à Donna/Ludivine, tu as bien de la chance 🙂
A bientôt
Alex
P.S. : J’ai du sauter une partie de ton commentaire car je n’en suis qu’à l’épisode 3 de la Saison 5