Cet article n’a pas pour objectif de débattre une fois de plus sur les avantages ou inconvénients de la gestion des compétences vs la gestion de la performance. Des centaines d’articles ont déjà été écrits sur le sujet ; de plus, je ne suis pas un expert du domaine.
C’est Stephen Clarke, écrivain anglais vivant en France, qui m’a donné l’idée de ce billet. Dans son dernier livre « Comment les français ont gagné Waterloo », il explique entre autre que les français travaillent pour vivre et les anglais vivent pour travailler.
Il y a en effet beaucoup de différences dans le rapport au travail entre nos amis Britanniques et les Français, notamment en ce qui concerne la gestion par les compétences et par la performance.
Sans préjuger de l’impact que peut avoir une telle gestion sur la santé du marché du travail, on peut quand même constater qu’il y a une différence sensible d’approche des 2 côtés de la Manche et des écarts sur l’emploi.
Mon expérience professionnelle au sein de sociétés anglo-saxonnes me permet d’apporter des éléments de réflexion :
- Il y a bien sûr une différence culturelle ; globalement au Royaume-Uni on considère qu’une personne est responsable de sa carrière, il y a moins d’attentes par rapport à l’Etat Providence. Il n’y a pas de place pour la culture de l’excuse.
- On donne les moyens aux collaborateurs de réussir. En retour le collaborateur doit rendre des comptes à l’entreprise pour laquelle il travaille. Le pilotage par les objectifs (MBO) est de mise, et le système de reporting beaucoup plus développé.
- En France, les employeurs s’attendent plus à ce que les collaborateurs suivent des filières en fonction de leur parcours scolaire ou universitaire. Cela se traduit par une différence très nette au niveau du recrutement : on va s’attacher à la façon dont il a travaillé, aux compétences qu’il a développées, à sa formation, alors qu’au Royaume-Uni on s’intéresse davantage au potentiel. En conséquence, un employeur anglais passera beaucoup plus de temps à « vendre » son entreprise aux candidats, pour générer de la motivation, qui sera clé pour la performance des futurs embauchés. En France, les recruteurs s’attendent plus à ce que ce soient les candidats qui démontrent leur motivation (cf. lettre de motivation).
- De l’autre côté de la Manche, le travail est plus collaboratif : si un collaborateur est en difficulté, il va naturellement s’appuyer sur le collectif (c’est l’esprit rugby) : on va encourager les collaborateurs à faire appel à des compétences présentes dans la société et à manager des équipes virtuelles de façon à atteindre un haut niveau de performance globale. L’entreprise est considérée comme un projet commun, et pas comme un employeur, comme c’est souvent le cas en France.
- Les entreprises françaises mettent davantage l’accent sur une valorisation des compétences individuelles. Il est révélateur que les étudiants britanniques trouvent les étudiants français très cultivés, mais moins autonomes. Cela résume bien tout le paradoxe entre nos 2 nations : les anglais nourrissent sans le dire un complexe par rapport à la culture française, mais sont très contents d’être plus performants dans certains domaines.
- Au Royaume-Uni on ne juge pas négativement les erreurs, au contraire, on favorise la prise d’initiative et l’audace, indicateurs de l’esprit d’entreprise. On encourage ainsi l’organisation apprenante (« in the end, only the results »). Le débat est bien sûr également important mais, une fois la décision prise, tout le monde la défend et la met en œuvre. En France, il n’est pas rare qu’une décision soit remise en cause alors même qu’on est dans sa phase d’exécution, ce qui a un impact direct sur la motivation et la performance.
Mais attention, comme le dit Stephen Clarke : un train peut arriver à l’heure mais vide de voyageurs ! Il faut faire attention à l’approche court-termiste de la performance. Dans les entreprises anglo-saxonnes, il n’est pas rare de se séparer tous les trimestres, au nom de la performance globale, des 5% de low performers.
Pour éviter ces effets de bord dans l’entreprise, il est nécessaire de communiquer sur la vision stratégique pour ne pas perdre les talents en cours de route. En cela, la GPEC (ou GPRH) est un excellent outil, qui donne la direction, pouvant mobiliser certains talents vers d’autres filières où ils pourraient mieux s’exprimer.
Cette vision des compétences nécessaires demain doit être cependant bien expliquée, dans une approche globale d’entreprise (« one team ») pour ne pas dévaloriser certains emplois, car tous contribuent à la performance globale.
La GPEC repose sur des compétences, pour la plupart expérimentées, nécessaires mais non suffisantes. Mais pour qu’une entreprise réussisse, il faut aussi favoriser la créativité, l’innovation, l’initiative, l’adaptabilité pour inventer de nouveaux modèles ; ces compétences sont difficilement mesurables en dehors du strict résultat quantitatif fixé par l’organisation. Il y a cependant un moyen simple de détecter des talents en dehors des évaluations organisées par la DRH (top down): laisser les collaborateurs exprimer leurs appétences, déclarer leurs compétences cachées, dormantes, avec comme vertu un enrichissement de votre vivier de compétences internes (bottom up).
Ce vivier de compétences est un excellent outil pour mobiliser les talents en interne, et de plus moins coûteux que le recrutement externe.
Par ailleurs, les compétences peuvent être une garantie de culture commune (les anglais ont des valeurs), d’un certain niveau de qualité, de pratiques. Cette homogénéisation des compétences se fait naturellement dans une société anglo-saxonne, mais ne sera pas forcément mesurée, et donc ne pourra pas mener à une politique de mobilité ou de développement personnel en ligne avec les objectifs stratégiques de l’entreprise.
Si un employé comprend bien sa contribution dans le cadre du collectif, avec les objectifs décrits dans la GPEC, il développera d’autant mieux ses compétences pour dépasser ses limites, ou celles de son poste actuel, pour apporter une meilleure contribution globale à la performance de l’entreprise (« sky is our limit »). Pour cela, il est nécessaire de se remettre en question en permanence et non pas considérer que son capital de compétences est limité ou suffisant. En France, à une demande de mobilité, on peut se voir proposer un bilan de compétences, consistant en une série d’évaluations par des personnes internes ou externes à l’entreprise, définir un projet personnel, constituant une excellente base pour une remise en question.
Enfin, la gestion par les compétences permet aussi d’optimiser le dispositif formation en proposant les sessions les plus adaptées aux besoins individuels. L’impact est bien évidemment quantitatif, financier, mais aussi qualitatif sur la motivation des employés et donc au final de la performance.
Nous sommes aux antipodes de certains plans de formation en vogue dans certains groupes anglo-saxons, identiques à tous et pilotés par la corporation (« one size fits all »).
Les outils décrits ci-dessus sont évidemment d’autant plus pertinents que l’organisation de l’entreprise est complexe. Dans les groupes ayant de multiples activités, un référentiel global est indispensable pour favoriser la mobilité inter-branches.
Les entreprises, dans leur grande majorité, travaillent en écosystème, plus ou moins structuré selon les secteurs. Il n’est pas difficile d’imaginer l’application de certains processus à une communauté d’entreprises, liées par des relations commerciales ou une proximité géographique. Les statistiques montrent en effet la prédominance de mobilité fonctionnelle (la mobilité géographique est inférieure à 3% en Europe).
Par exemple, la mise en place d’une « bourse de compétences » sur un territoire géographique aurait pour effet de retenir les talents dans un bassin d’emploi, d’optimiser les recrutements, la mobilité et au final de booster la performance de chaque entreprise.
Certains outils permettent actuellement la gestion collaborative de talents pour le compte d’un groupe d’entreprises. Dans ce contexte, la gestion par les compétences a beaucoup d’avantages : elle intervient non seulement aux niveaux individuel et collectif de l’entreprise, mais aussi sur son écosystème, permettant d’augmenter résilience, attractivité et compétitivité.
Les deux approches, par les compétences et la performance, sont dans tous les cas complémentaires.
Ce n’est pas un constat nouveau, mais il est essentiel de savoir positionner le curseur au bon endroit en fonction de la situation (économique, sociale, stratégique) de l’entreprise. Pour cela, une évaluation fréquente des différents indicateurs clé (performance, mobilité, formation…) est nécessaire pour prendre le pouls de la situation et des leviers à activer.