Il est un départ moins définitif que celui qu’on subi tant d’artistes durant ce funeste mois de janvier : le départ de son entreprise ! Je n’irai pas jusqu’à parler de « petite mort », car cela serait tout de même un peu exagéré. Mais on peut au moins utiliser un champ lexical comprenant des mots tels que séparation, émotion, parfois regret, souvent nostalgie, et pour certains soulagement.
Dans tous les cas, le départ d’une entreprise provoque à l’endroit de celui qui la quitte une vague de témoignages souvent positifs – puisque les « soulagés » se tairont – qui sont la marque de ce que l’on pensait, de ce que l’on ressentait pour la personne. Et pas plus tard que ce matin, quelqu’un quittant mon entreprise me posait cette simple et pourtant si éloquente question : pourquoi attendre de devoir partir pour recevoir tant de marques d’affection de la part de ses collègues ?
A bien y réfléchir, c’est une question plus importante qu’il n’y paraît. D’abord parce qu’on le sait tous, nous avons la fâcheuse habitude dans notre sphère privée d’attendre que les gens ne soient plus là pour les encenser. Et de regretter de ne pas leur avoir parlé avant….
En entreprise, cela fonctionne à peu près pareil. On n’hésite pas une seconde à s’engueuler en réunion, à critiquer les uns et les autres dans les couloirs, à dénigrer la piètre qualité du travail d’untel, mais combien d’entre nous ouvrons spontanément la porte d’un bureau pour aller féliciter quelqu’un, pour aller lui dire combien on est heureux de le voir évoluer à ses côtés, pour lui exprimer notre admiration ?
D’un point de vue managérial, ne pas exprimer d’affection, de reconnaissance, ou toute autre forme de sentiment exprimant le bien que l’on pense de son collaborateur est assurément une erreur ! Qui parmi nous a suffisamment confiance en lui pour n’avoir besoin ni d’encouragements, de remerciements, ou plus prosaïquement de signaux lui indiquant qu’il est sur la bonne voie et qu’il fait du bon travail ? La confiance est libératoire, et le rôle du manager est notamment d’aider chacun à se libérer pour révéler ses talents. Cela passe sans aucun doute par un bon usage des mots et des émotions.
Alors revenons à la question initiale : pourquoi beaucoup d’entre nous sommes incapables d’émotions et de sentiments en entreprise ? Est-ce :
- De la pudeur ? C’est vrai, on ne nous apprend pas à l’école à nous exprimer simplement, à dire à ceux que l’on aime qu’on les aime (je sais ça fait un peu Céline Dion…), et cela nous joue bien des tours ailleurs qu’en entreprise…
- Du calcul ? Et si on n’exprimait pas notre ressenti de peur que l’autre commence à se prendre la grosse tête et à nous « marcher dessus » ? Hypothèse envisageable, mais je ne pense pas que l’entreprise soit fondamentalement aussi perverse que Games of Thrones ou remplie exclusivement de Machiavel
- Un désintérêt ? Je pense que bon nombre d’entre nous ne voient pas l’intérêt d’aller exprimer ce qu’ils ressentent à leurs collègues, pas plus qu’à leurs amis. Je ne m’attarde pas sur ce point car les personnes concernées auront déjà arrêté de lire cet article…
- Un sentiment d’éternité ? En ce qui me concerne, je pense que c’est l’une des raisons qui m’empêcherait d’exprimer mon ressenti à un collègue, cette impression que l’on se reverra demain et que l’on aura une (meilleure) occasion de se dire les choses. Mais attendre que la personne quitte l’entreprise pour s’exprimer gâche un peu la fête, car on aura toujours l’impression d’un « trop tard », voire que cela aurait peut-être pu motiver la personne de rester (un peu plus longtemps au moins)
- Ca ne se fait pas en entreprise ? Eh oui, je crois que cette hypothèse est bien valide…. L’entreprise est le lieu où l’on vient gagner de l’argent, suer, faire des efforts, être contraint, en espérant de pouvoir gravir les échelons pour gagner plus d’argent, et ainsi du suite. Mais honnêtement, qui a vraiment envie de passer plus de 40 ans de sa vie et 10 heures par jour à ne vivre que pour cela ? C’est bien tout le sens de la transformation de l’entreprise dont on parle tant actuellement que de développer un autre rapport au travail. Et de vivre dans une entreprise dans laquelle on peut exprimer ses émotions et sentiments envers ses collaborateurs
Ce qui est incroyable, et je vous invite à essayer plutôt qu’à me faire confiance, c’est que lorsque l’on arrive à transmettre son ressenti à un collègue, on se rend compte comme celui-ci s’ouvre, reçoit facilement et naturellement ce que l’on veut lui donner, même si le cadre de l’entreprise empêche généralement toute forme d’effusion. Cela change profondément la relation car celle-ci s’appuie sur davantage de confiance, de sérénité, et les rapports qui en découlent sont souvent plus simples, plus directs, et de bien meilleure qualité. Et bien sûr, l’efficacité du travail s’en ressent.
Il y a sûrement de très nombreuses autres raisons – et je suis vraiment preneur de vos commentaires à ce sujet – qui nous empêchent de lier entreprise et sentiment. La bonne nouvelle dans tout ça c’est que l’on peut réparer nos erreurs dès lundi. Alors oserons-nous le faire ? La suite au prochain épisode 😉