Etant en pleine lecture des Vertus de l’échec – que je vous recommande chaudement – de Charles Pépin (ça ne s’invente pas…), je ne pouvais m’empêcher de vous narrer ma journée de ski. Il faut savoir que l’année dernière dans la même station, nous n’avions pu nous adonner aux plaisirs de la glisse ne serait-ce qu’une petite fois pour cause de disette neigeuse. Alors quand nous avons vu la neige tomber abondamment, nous nous sommes empressés de rejoindre les pistes. Enfin d’essayer.
Il a d’abord fallu essayer de sortir la voiture (ci-contre) de cette fâcheuse situation afin que ceux qui restaient au chalet puissent sortir. Cela a fièrement constitué le premier échec de la journée, tant la neige était abondante. Pas grave, ils prendraient l’autre voiture que nous avions laissé 1km plus bas au parking, n’ayant pu la monter la veille au soir.
Lorsque nous avons regagné le télésiège en marchant 500m dans 1m de poudreuse, il n’était pas activé car les pistes n’ayant pu être damées, la station avait jugé la pratique de notre sport favori trop dangereuse. Qu’à cela ne tienne, nous primes immédiatement notre téléphone pour appeler un taxi qui nous conduirait à la station voisine. Après une dizaine d’appels, nous avons finalement trouvé un taxi volontaire prêt à redonner un second souffle à notre épopée. Malheureusement, 15mn plus tard, il nous rappela pour nous dire qu’il était bloqué par un arbre… (photo ci-dessous) : retour à la case départ !
Nous décidâmes finalement d’aller à la dite station voisine en bus. Sur le chemin qui nous y menait, nous croisons un vieil autochtone nous préconisant de faire marche arrière pour aller rejoindre une autre station voisine grâce à une savante combinaison de téléskis. Convaincus, nous faisons demi-tour, remarchons 10 bonnes minutes, pour nous apercevoir qu’un arbre empêche l’accès à la station (le même arbre que celui du taxi ?).
Nous refaisons donc demi-tour pour rejoindre le bus, qui bien sûr entre temps – après 20 bonnes minutes de marche – était déjà passé. Il nous fallait à présent attendre deux heures avant le prochain. Dépités, nous décidons de re-refaire demi-tour et d’attendre le retour de nos amis (en train de faire les courses) pour emprunter leur voiture, et gagner la station voisine. L’attente serait plus douce devant une tartiflette. Malheureusement, la tartiflette à peine servie, coup de fil des amis : ils sont coincés dans une côte et il faut immédiatement voler à leur secours. Qu’à cela ne tienne !
Une heure plus tard (et donc quasiment 4 heures après le départ du chalet), nous arrivons finalement à un télésiège en fonctionnement (je vous fais grâce du fait que le frein à main de notre voiture a fait des siennes et a failli aller saluer un chalet 200m plus bas).
Alors quelles leçons tirer de ces échecs successifs ?
Pourquoi procrastiner ?
Evidemment, après la nième galère, nous nous sommes dits que l’on aurait largement mieux fait de déneiger la voiture avant toute chose, car cela nous aurait finalement permis de gagner beaucoup beaucoup de temps. Mais nous n’avions pas voulu insister car… nous ne voulions pas perdre de temps, étant fortement pressés d’aller en découdre avec la poudreuse.
Impossible dans de telles circonstances de ne pas penser à mon émérite professeur Henry Rouanet, qui n’avait de cesse de nous répéter : « Pour aller vite, allons lentement« . Impossible également de ne pas faire le rapprochement avec de nombreuses situations professionnelles auxquelles je suis régulièrement confronté.
Je pense ici à tous ces personnes de moins de 25 ans que je croise et qui me disent vouloir être managers ou dirigeants. Et quand je leur demande « dans quel domaine », de m’entendre dire « peu importe ». A l’instar de ces starlettes de la télévision heureuses de monter les marches du festival de Cannes alors que l’on se souvient à peine de leur nom et de l’objet de leur – souvent éphémère – célébrité. Comme si « l’accession au pouvoir » n’était plus la conséquence logique d’une carrière bien remplie mais la seule et véritable finalité de son activité professionnelle. Alors pourquoi cette quête de facilité ?
Pourquoi rechercher la facilité ?
Selon Confucius, « Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir« . Ce qui revient à dire – et paraphraser tout constructiviste qui se respecte – que le but est dans le chemin ! Que nous est-il arrivé pour ne plus avoir la patience de travailler, de fournir des efforts, en vue de nous parfaire dans quelque art que ce soit ? Mais souhaiter au contraire tirer profit des fruits de ce travail sans même l’avoir fourni ?
Instagram, Messenger, Snapchat et les médias sociaux en général ont-ils érigé l’immédiateté au point d’en faire le seul repère de notre société ? Cette volonté de magnifier un moment auquel on a à peine goûté nous a-t-il finalement privé du plaisir intrinsèque de l’expérience ?
Autant de questions que l’on peut se poser quand on voit que toute personne ayant réussi deux projets consécutifs vient vous voir en vous disant : « Je commence à avoir fait le tour« . Dans ce cadre, que penser d’un Tiger Woods qui, après avoir déjà gagné de très nombreux tournois et passé des centaines d’heures sur les practices, a décidé de reprendre un coach pour améliorer son swing parce qu’il n’en était pas satisfait ? Comme s’il cherchait dans un sport qu’il connaissait apparemment par coeur à déceler des connaissances qui lui auraient échappé.
Pourquoi se priver des vertus de l’échec ?
Selon Charles Pépin, « l’erreur est la manière humaine, proprement humaine, d’apprendre« . C’est pourquoi la facilité, l’immédiateté (sauf pour les étudiants Samouraïs qui sont peu nombreux à lire ce blog) sont autant de raccourcis privant celui qui les emprunte de l’opportunité d’apprendre.
L’idée de cet article n’est pas de faire l’apologie des besogneux ou d’apparaître comme un vil réactionnaire opposé à l’usage des médias sociaux (ce serait mal connaître l’auteur de cette excellente chaîne YouTube que je recommande vivement, TalentsOfTomorrow). Il s’agit plutôt de dénoncer les mirages de la facilité et des raccourcis, car ils sont contraire à l’esprit même des grands entrepreneurs et de toutes les personnes qui innovent.
Quand vous êtes chef d’entreprise et que vous recherchez des fonds auprès d’investisseurs, ces derniers vous posent cette – apparemment déstabilisante – question : « Qu’avez-vous échoué » ? En bon produit de l’école française, vous vous dites nécessairement que parler de vos échecs conduira immanquablement à un départ précipité des dits investisseurs. Pour comprendre par la suite que si vous n’avez rien échoué, c’est que vous n’avez rien véritablement tenté. Et dans ce cas, les investisseurs douteront de votre capacité à conduire votre entreprise au sommet, car cela demande immanquablement de prendre beaucoup de risques.
Alors certes, nous avons copieusement galéré 4 heures avec mes camarades avant de trouver le chemin des pistes. Néanmoins, nous avons appris une chose sur nous que nous ignorions tous les trois en partant du chalet : nous sommes aujourd’hui capables de garder notre calme et notre bonne humeur (sans parler de notre humour à la qualité discutable) face à ces situations qui nous auraient passablement énervé quelques années auparavant. Avons-nous vieilli, ou savons-nous davantage profiter du plaisir simple de galérer entre amis ? Le but est peut-être bien dans le chemin, aussi neigeux soit-il 🙂