Attention spoiler ! Que tous ceux qui n’ont pas vu le premier film de Bradley Cooper et qui souhaitent le voir cessent immédiatement de lire cet article. S’il est bien un film qui met le talent au coeur de son histoire, et fasse émerger les multiples questionnements qui vont avec, c’est bien celui-ci. A Star Is Born, ou comment une star sur le déclin (Jackson Maine alias Bradley Cooper donc) va aider une jeune artiste en proie au doute (Ally alias Lady Gaga) à se révéler. L’idée n’est évidemment pas de raconter le déroulé du film mais plutôt de revenir sur quatre questions essentielles soulevées par ce qui est loin d’être un Bodyguard version 2018 (qui mettait à l’époque – feu – Whitney Houston sous les projecteurs hollywoodiens).
Tout le monde a-t-il du talent ?
Au début du film, Jackson exhorte Ally à se lancer dans la musique en lui disant (à peu près) ceci :
Regarde dans ce bar, tout le monde ici a du talent, tout le monde ! Mais peu de gens ont quelque chose à dire.
De prime abord, cela peut être vu tout aussi positivement que négativement.
Bonne nouvelle, tout le monde aurait du talent, c’est-à-dire quelque chose, une aptitude, une capacité, un « don » qui lui permettrait de faire la différence dans un contexte et une situation donnés. C’est ce que racontent tant de films hollywoodiens (de Avengers au Seigneur des anneaux en passant par L’Agence tous risques ou Ocean’s 8) suivant les aventures d’un groupe d’individus qui, tour à tour, vont s’illustrer de façon héroïque de par cette aptitude salvatrice.
De l’autre côté, tout le monde n’aurait pas quelque chose à dire, ce qui peut sembler très élitiste et beaucoup moins inclusif. Ce n’est pourtant pas cette vision restrictive qui est adressée par le héros, mais plutôt celle de « rayonnement » inhérent aux artistes talentueux. Quand un musicien, un peintre ou un comédien s’adonne à son art, le nombre de personnes qu’il peut adresser est potentiellement considérable. Il a une opportunité unique de toucher les gens, d’influer sur leur bien-être, de faire passer un message. C’est, lorsque l’on prend le temps d’y penser, un pouvoir exceptionnel, digne de celui des super-héros Marvel ou DC Comics.
C’est cela que Jackson Maine pointe du doigt lors de cette conversation. Selon lui, Ally a quasiment le « devoir » de tenter sa chance tant elle a quelque chose à dire au monde, ou plus exactement, un trésor à partager. Et vous, avez-vous « quelque chose à dire » ? Et si oui, est-ce de votre devoir de le faire ?
Le talent impose-t-il des devoirs ?
La question des devoirs imposés par le fait de disposer d’un talent est également au coeur de toute l’industrie hollywoodienne. Le professeur Lambeau harcelant littéralement Will Hunting pour que celui-ci mette son don pour les mathématiques à profit de la science. Peter Parker (alias Spider-Man) ou Bruce Wayne (alias Batman) contraints de renoncer à celle qu’ils aiment car « de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités ». Et ici Jackson exhortant Ally à vaincre ses doutes et sa timidité.
Se montrer reconnaissant de l’aptitude spécifique dont la Nature nous a doté passerait semble-t-il par un devoir d’en faire bénéficier le plus grand nombre. Hollywood rejoint finalement Hannah Arendt – et sa notion d’Homme agissant – pour qui agir au profit de la vie de la Cité est non seulement un acte politique, mais la raison même de l’existence. Le travail étant selon le philosophe Bernard N. Shumacher le meilleur moyen de le faire, ce dernier affirmant que « la véritable valeur du travail s’exprime par la réalisation de soi et de ses talents individuels à travers des actions contribuant au bien commun » (propos extraits de la préface qu’il a rédigée dans le livre de Josef Piper intitulé Le loisir, fondement de la culture).
Dit plus simplement : nous n’avons pas le droit d’user de nos talents de façon égoïste mais nous nous devons au contraire d’en faire bénéficier le plus grand nombre. Mieux : cela serait peut-être la seule voie qui conduise à un bonheur véritable. Question : comment trouver le meilleur moyen de le faire ?
Comment contribuer au bien commun ?
Jackson Maine, plutôt vers la fin du film, répond au travers de la voix de son grand frère. Ce dernier explique que selon Jackson, la musique ce n’est que 12 notes. 12 notes qui se répètent et se répètent d’octave en octave. Mais la vision que chaque artiste appose sur ces 12 notes, c’est cela qui fait toute la beauté et la richesse de la musique.
Ainsi, contribuer au bien commun en usant de ses talents reviendrait finalement pour un artiste à exprimer sa vision du monde, singulière, unique. Pour un artiste, le cap est clair, les chemins le sont moins tant il est difficile de « percer ». Pour les non-artistes, comment définir le cap qui nous permettra de mettre nos talents à profit et trouver les chemins à sillonner ? C’est probablement LE sujet de notre vie.
Bien évidemment, ce n’est pas dans un article d’une page que se trouvera la réponse. Cette quête démarre assurément par le fait d’assumer notre vision du monde, notre prisme personnel. Etre capable d’en cerner les contours, de l’accepter pleinement. On ne nous apprend pas à prêter attention à ce qu’il y a en nous, à ce qui rend intéressant la moindre de nos photos, la moindre des nos discussions, de nos partis pris, de nos convictions. Chacun de ces éléments reflètent qui nous sommes, constitue un indice de nos talents et de la façon dont nous pourrions les utiliser.
Une autre question posée consiste précisément à savoir il est important ou non d’affirmer notre prisme personnel pour réussir, plutôt que de se conformer à une norme.
Doit-on se trahir pour réussir ?
Tout au long du film et de l’évolution du personnage de Lady Gaga, la question est posée en contre-point par son pygmalion de savoir quels compromis on peut être prêt à faire sans se trahir, sans tourner le dos à ce qui nous rend singulier. L’industrie musicale est célèbre pour sa capacité à transformer un être à l’apparence ordinaire en « superstar », en l’affublant de tout ce qui va avec. En l’occurence, il s’agit dans le film pour Ally de changer de couleur de cheveux, d’être accompagnée d’une troupe de danseurs et de voir ses chansons arrangées très différemment. Alors que Jackson Maine pense que seul ce que l’on a à dire compte (retour au premier paragraphe) et qu’il faut s’en tenir à l’essentiel.
On voit Ally refuser au début, puis finalement céder, sans que cela ne semble réellement lui poser de problème tant sa réussite est fulgurante. Le succès demande-t-il toujours en contre-partie de renoncer à tout ou partie de soi ? Chacun a sa conviction à ce sujet. Je ne sais pas si l’on doit le faire ou non pour réussir dans l’industrie musicale. Je sais simplement que suivre les chemins tracés par autrui conduit rarement à la découverte de soi. Et a probablement peu de chances de mener à notre bonheur. Quand bien même on deviendrait riche et célèbre….
D’aucuns pourraient rétorquer que l’on peut « jouer » avec la norme, avec les codes de la société, sans pour autant y adhérer. Mais comme le montre le personnage d’Ally, et surtout son entourage, difficile de rester soi sur le chemin d’un autre, même si l’on garde en tête le pourquoi on le fait. Ce qui revient à savoir si le jeu en vaut la chandelle.
Bref, allez voir ce film car vous y verrez forcément autre chose qui viendra compléter cette vision. N’hésitez pas à laisser vos commentaires pour l’enrichir puisqu’après tout, c’est peut-être votre devoir 😉