« Manu, tu reviens au bureau ? » , « Et pour quoi faire ? » . « Bah je sais pas moi, reviens ». « Et pour quoi faire ? ». Non, ce n’est pas un mauvais remake du célèbre sketch des Inconnus. C’est simplement ce que j’ai eu l’impression d’entendre toute la semaine autour de moi. Le confinement étant passé par là et ses longues semaines de télétravail – au démarrage forcé – avec lui, il semblerait que venir au bureau ne soit plus un impondérable du travail. A la plus grande surprise de nombreux managers qui ne comprennent pas que le retour au bureau ne sonne pas comme une évidence. De quoi s’agit-il ? D’une forme de « gueule de bois » durant laquelle les gens ne savent plus trop quoi faire ? De la peur de reprendre les transports et par là même un risque inutile ? De l’impossibilité de faire garder ses enfants ? Ou tout simplement de l’envie de rester chez soi tranquillement ? Voici quelques éléments de réflexion afin de sortir un peu de cette période « d’entre-deux ».
- Non, vous n’êtes pas les seuls dans ce cas !
Alors cela ne changera pas grand-chose à votre problème, mais rassurez-vous : vous n’êtes pas seuls ! Vous découvrez simplement ce que connaît tout bon marketer, à la savoir la différence entre la déclaration d’intention et le passage à l’acte. Oui, vous avez tout fait bien. Vous avez demandé aux gens s’ils voulaient revenir, ils vous ont dit oui à 33,33%, et lorsque s’est faite la réouverture, vous vous êtes demandés où sont passés tous ces %, n’ayant croisé que quelques téméraires dans vos grands locaux tout vide.
Toujours dans la quête d’un soulagement quant au fait que vous ayez raté quelque chose, il suffisait de regarder la demi-finale de The Voice version déconfinement pour se rendre compte de l’ampleur du problème : des candidats qui répètent masqués en coulisses ; un public apparaissant sur une mosaïque d’écrans ; les musiciens absents ; une Lara Fabian en lévitation de chez elle ; et une ambiance plus proche d’un épisode de Black Mirror (ce qu’à d’ailleurs souligné le HuffPost) que d’une grande liesse populaire.
Oui, tout le monde galère. Le déconfinement est bel et bien une nouvelle épreuve à laquelle nous sommes tous confrontés, employeurs ou producteurs de télévision. Ne pas considérer la situation actuelle comme tel vous amènera nécessairement à prendre de mauvaises décisions, ou a minima des décisions hâtives. La création de groupes privés de DRH, sur Whatsapp ou Linkedin, se questionnant les uns les autres à la recherche de la martingale en atteste.
- Non, retour au bureau ne rime pas avec retour au boulot
Oui, vous avez du retard business à rattraper. Oui, vous avez envie de revoir les gens IRL (In Real Life). Oui, vous êtes convaincus que la productivité ne peut être durablement la même à distance. Mais non, retour au bureau ne rime avec retour au boulot ! Car affirmer cela reviendrait à dire que les gens n’ont pas bossé pendant le confinement en étant en télétravail, ce qui est très majoritairement faux.
Ceux qui n’ont rien fait pendant le télétravail sont les mêmes qui passent leur journée sur Youtube au bureau pour faire passer le temps, telle une version moderne de Gaston Lagaffe, la créativité en moins. Certes, ne rien faire est encore plus facile quand on n’a pas son manager qui rôde, mais cela ne change fondamentalement rien à leur productivité habituelle.
En revanche, la grande partie des télétravailleurs ne savaient plus s’ils travaillaient à la maison ou dormaient au bureau, tant leurs plages horaires de travail s’étalaient sans fin d’une part, et étaient jonchées de contraintes personnelles d’autre part. Le résultat final étant un grand niveau de fatigue. Leur dire qu’il est temps qu’ils reviennent au bureau pour bosser risque par conséquent de légèrement les contrarier….
- Oui, nous devons bien prendre en compte une somme d’exceptions
Pourtant, durant tout le confinement, nous avons tous entendu de très nombreuses personnes nous dire : « Je ne pensais pas qu’un jour je rêverais de revenir au bureau ». En plein isolement, le bureau (ré)apparaissait comme le vecteur de lien social qu’il est, ou doit être. Pourtant, bon nombre de ces personnes ne sont pas venues frapper aux portes lors de la réouverture. Pourquoi ? Pour mieux comprendre la situation, il faut avoir en tête que l’entreprise n’est plus qu’une somme d’exceptions, résultant notamment de la friction historique entre critères personnels et professionnels, parmi lesquels on compte :
- La personnalité de chacun
- Son métier
- Sa manière de travailler
- Son équipe
- L’environnement (avec la problématique sanitaire des personnes à risque)
- Le fait qu’il ait des enfants ou non (avec la problématique attenante de l’école)
- Le fait qu’il habite loin du bureau ou non (avec la problématique du transport)
- Ses ambitions et aspirations (avec la problématique qu’elles ont pu fortement évolué pendant la crise)
- …
On comprend alors que le management de proximité est l’axe central permettant de sortir de discussions stériles. Il est bien le seul à savoir qui veut et peut faire quoi, et à pouvoir faire des propositions respectueuses et cohérentes en ce qui concerne le retour au bureau. Avec pour seule préoccupation en tête : comment créer une dynamique d’équipe ? Cette dynamique étant fondamentale pour engager les collaborateurs, et donc pour le succès de l’entreprise. Cette préoccupation est la seule qui vaille la peine de gamberger, parce qu’elle est utile. Celle consistant à répéter comme un mantra que « c’est plus sympa de se voir » ne doit pas devenir la préoccupation principale, car l’agréable est une notion lointaine pour tous ceux croulant encore sous un lot non négligeable de contraintes, ou de peurs. Et que cette même notion de « sympa » se frotte quand même à des règles sanitaires qui ont quand même un peu malmené le potentiel social du bureau (cf. la caféteria ci-dessous dépourvue de la possibilité de s’assoir ou se réunir…).
- Oui, on a plus de mal à brainstormer ou innover à distance
Que manque-t-il au travail à distance pour supporter une dynamique d’équipe ? Certes, la collaboration est possible en télétravail, pour peu qu’elle consiste à coordonner les tâches que chacun doit réaliser… individuellement. Mais lorsqu’il s’agit de créer, d’innover, d’élaborer de nouvelles solutions, ou d’analyser ensemble un problème complexe, c’est une autre affaire. Simplement parce que toute une partie de la communication est non verbale ! Il n’y a qu’à lire les nombreux articles visant à l’améliorer pour s’en convaincre.
Le bureau est également cet espace propice à la sérendipité. Dit autrement, cet espace de travail commun permet à deux personnes de se croiser inopinément dans un couloir et régler en 5mn un problème qui aurait autrement nécessité de nombreuses réunions, pour aboutir à un résultat – au mieux – équivalent. Mais cette sérendipité est-elle un beau concept théorique ou une réalité empirique ?
Lorsque venir au bureau consiste à venir s’isoler à son bureau avec un casque sur les oreilles pour préparer un powerpoint, en se montrant ouvertement agacé dès que quelqu’un vient vous solliciter, pas sûr que la sérendipité soit une réalité. En revanche, si l’on pense les bureaux comme un espace collaboratif, propice au lien social, centré sur la joie simple de se réunir autour d’un café, ou sur la facilité de brainstormer avec des collègues motivés dans une salle de créativité, c’est autre chose. Voilà probablement la nécessaire feuille de route des services généraux. En attendant de grands travaux de réaménagement des bureaux, peut-on quand même créer de bonnes raisons de revenir au bureau ?
- Non, vous n’êtes pas Brad Pitt ou Scarlett Johansson
Ami.e manager, la simple évocation de votre présence au bureau ne suffit probablement plus à donner envie à tout le monde de se ruer dans les transports en commun. Mais ne soyez pas vexé, l’époque n’est plus au têtes d’affiche capables d’attirer les foules sur leur seul nom, à l’instar d’un Belmondo ou Delon dans les années 70. On allait pas voir L’incorrigible ou Le magnifique, on allait voir le dernier Bebel.
Aujourd’hui, même en vous appelant Martin Scorsese, vous devez parfois batailler pour convaincre des professionnels d’investir dans votre projet. En gardant à l’esprit que c’est bien le projet que vous proposerez qui rassemblera vos équipes… ou non.
Concentrez- vous sur ceux qui avaient plutôt envie de venir, et donnez-leur véritablement envie de le faire. Créer des évènements d’équipe, qu’il s’agisse de déjeuners ou d’afterwork, organiser des sessions de créativité visant à réengager tout le monde derrière des objectifs partagés. Objectifs en lien avec la situation d’aujourd’hui, pas d’hier. En un mot, faites de cet outil que sont les bureaux un instrument de collaboration et de création. Et cela donnera naturellement envie aux autres de revenir. Sans faire du présentéisme l’alpha et l’oméga de la reprise de l’activité.
Ce déconfinement est quoi qu’il en soit l’opportunité de faire confiance ! Aux collaborateurs d’abord, aux managers ensuite, car ils sont les mieux placer pour combiner dynamique d’équipe et respect des contraintes et aspirations individuelles. En se rappelant que tout est une question d’équilibre, et que le désormais fameux « monde d’après » résulte probablement de la délicate alchimie du meilleur du pré-confinement et du confinement, que d’un saut quantique vers un monde du travail idéal et idéel. Alors, rendez-vous demain à la cafétéria ?