L’humain face à la data : les 3 leçons du film Le Stratège !

Le 4 décembre 2011 je publiais un billet sur Les Talents d’Alex (l’ancien nom de mon blog transformé en alexpachulski.com) traitant de l’excellent film de Bennet Miller avec Brad Pitt et Jonah Hill, Le Stratège. Il était évidemment question de talent management et de recrutement. Amusant de constater qu’après l’avoir revu hier soir, j’en ai tiré des leçons différentes, du fait très probablement de la promotion de mon livre – Génération IA – traitant comme son nom l’indique d’intelligence artificielle. Je les partage ici.

1. Quels sont les critères qui régissent nos vies ?

Pour une très large part, le film traite de détection des talents. D’abord au travers de l’histoire du personnage de Brad Pitt, Billy Beane, jeune espoir déchu de la ligue de base-ball, paralysé par le stress et le manque de confiance en lui. Mais aussi au travers des discussions traitant du recrutement des joueurs visant à reconstituer l’équipe fraichement décimée du Brad Pitt devenu dirigeant.

Le système de cinq critères selon lequel les joueurs sont repérés est largement mis en avant dans le film, érigeant en norme au sein de la ligue ce qui reste finalement très subjectif. Et c’est cette norme que Brad Pitt combat tout au long du film, flanqué de son assistant manager, Peter Brand, magnifiquement interprété par Jonah Hill. Ce dernier défendant l’idée qu’une multitude de joueurs de talents sont peu ou pas utilisés dans la ligue car ils ne répondent pas aux critères que celle-ci reconnaît. Pourtant, si l’on regarde ces mêmes joueurs sous un autre angle, ils pourraient s’avérer précieux pour une équipe.

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Que se passe-t-il quand on va à l’encontre du système ?

Les questions qui viennent immédiatement à l’esprit en regardant le film sont les suivantes : et si j’avais bâti tous mes avis, mes opinions, mes croyances et convictions sur des critères qui ne sont pas les bons ? Résultant de mon éducation, de mon environnement familial, social, …. Et que serait un « bon » critère ? La notion de bon ou mauvais a-t-il un sens ? Si ces questions constituent un moteur de tant d’auteurs, de réalisateurs ou de philosophes, c’est évidemment que la réponse n’est pas simple.

Ceci montre bien le caractère subjectif et biaisé (sans que cela ne soit intrinsèquement négatif) de tout ce que l’on pense. Si cela n’avait qu’une portée individuelle, ce ne serait pas encore trop grave. Mais il en est de la ligue de base-ball comme de nos sociétés…. Et quand il s’agira d’éduquer des intelligences artificielles pour qu’elles prennent pleinement part à nos vies, que ce soit au travail, dans la santé ou dans l’éducation, qui déterminera ce qui a de la valeur ou non ? Les données à considérer ou non ? Qui traquera les biais nichés dans les algorithmes ? Qui décidera du fait qu’il s’agisse d’un biais ou d’un élément culturel revendiqué ?

Aujourd’hui il ne s’agit peut-être que de nous pousser des contenus plus pertinents sur nos plate-formes de streaming préférées. Mais quand il s’agira d’embarquer dans des voitures autonomes ou de collaborer avec des machines au travail, ce sera une autre histoire…. La bonne nouvelle est que précisément, c’est bien l’humain qui décide des données qu’il convient de prendre en compte ou non, et de l’importance à leur accorder. Encore faut-il qu’il en ait conscience….

2. La data propose, l’humain dispose !

Le film montre les versants positif et négatif du fait qu’à la fin de toute considération statistique, c’est bien l’humain qui a les rênes ! L’entraineur qui décide de la composition de l’équipe sur le terrain, interprété par le regretté Philip Seymour Hoffman, est farouchement opposé à l’approche suivie par Brad Pitt et Jonah Hill. Il refuse par conséquent de suivre leurs recommandations et s’entête à mettre la star en herbe de l’équipe en 1ère base plutôt que celui préconisé par l’algorithme de Jonah Hill, arguant que le base-ball est affaire d’expérience et non de statistiques.

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Un bon plan mal exécuté ?

Match après match, l’équipe accumule les défaites. Selon lui, elles incombent directement au recrutement douteux qui a été préconisé par l’algorithme. Alors qu’en réalité, les défaites résultent du fait qu’il refuse de suivre le plan de jeu pour lequel ces joueurs – apparemment douteux – ont été recrutés. Cela ne vous rappelle rien ? Combien de fois avez-vous recommandé une solution qui n’a finalement pas été exécutée comme vous l’avez préconisé et qui a finalement échoué, pour que l’on vous reproche ensuite qu’elle ne fonctionne pas. Alors qu’exécutée autrement, elle aurait pu très bien fonctionner. Ce qu’évidemment personne ne saura jamais.

Cela montre à quel point il est difficile de faire bouger les lignes quand une recommandation s’oppose à des convictions bien établies. Avoir une bonne idée ne suffit pas, encore faut-il qu’elle soit bien exécutée et qu’on lui donne toutes les chances de réussir. En l’occurence dans le film, quand le plan de jeu sera enfin suivi, l’équipe battra le record de victoires ininterrompues en cours dans la ligue.

La question suivante se pose donc : et même si des intelligences artificielles (IA) nous proposaient des solutions inédites et pertinentes aux problèmes – du quotidien ou plus fondamentaux – que nous essayons de résoudre, saurions-nous les suivre ? Quand bien même elles iraient à l’encontre de nos croyances, habitudes, biais cognitifs et autres réjouissances humaines. Rien n’est moins sûr….

3. La data ne crée pas la confiance, l’humain si !

Sur le versant positif du fait que l’humain a toujours le dernier mot, le film montre bien que quand le plan de jeu recommandé par Pitt et Hill est enfin suivi, il ne devient efficient qu’après une reprise en main managériale très forte des joueurs de l’équipe. Sur une très belle séquence du film, on voit Pitt et Hill prendre du temps avec chaque joueur et tenter de déverrouiller leurs blocages, évidemment très différents d’un joueur à l’autre. Et ce avec un seul objectif en tête : redonner confiance à chacun d’entre eux. Puisque chaque joueur se trouve lesté d’une forme de handicap qui l’a jusqu’à présent empêché de briller dans la ligue.

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Tout est affaire de management !

Ce qui pose une deuxième question : quand bien même les IA nous pousseraient des solutions inédites et pertinentes à nos problèmes, et que nous accepterions d’écouter ces recommandations, saurions-nous les exécuter correctement (ce qui revient au point précédent) ? Recruter des joueurs de base-ball ou des candidats dits « atypiques » est une chose, encore faut-il les plonger dans un environnement apte à les accueillir, à les développer. Leur accordera-t-on le temps nécessaire pour le faire ? Selon quels critères seront-ils évalués ?

Après un deuxième visionnage de ce film étonnamment d’actualité, on se dit ainsi que le thème de l’intelligence artificielle est loin d’être technologique : il est avant tout politique ! Il est affaire des choix que nous faisons dans nos sociétés, des critères qui les régissent, de la bonne foi que l’on met ou non à les suivre, ….. Autant de sujets qui sont entre nos mains et qui restent finalement bien mal adressés.

Allez, rendez-vous dans 10 ans pour un nouveau billet sur Le Stratège. Et en attendant, vous pourrez approfondir toutes les questions de l’article en vous procurant Génération I.A – 80 films et séries pour décrypter l’intelligence artificielle.

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