De Will Hunting au King of Staten Island : comment la réussite a changé de camp !

Régulièrement, l’industrie cinématographique américaine délivre un instantané de la société :

  • 1990 : Pump up the volume. Le film étendard des adolescents de l’époque, tournant la page du faste et des paillettes des années 80. 
  • 1997 : Will Hunting. J’aurais pu choisir Rushmore, deuxième film de Wes Anderson, tant le thème du génie qui tourne le dos à son talent est commun aux deux films. Mais Will Hunting constitue d’avantage un marqueur générationnel.
  • 2004 : Garden State, de Zach Braff. La société se cherche et semble un peu sonnée, à en croire cette oeuvre teintée d’ironie et de nihilisme. 
  • 2014 : Boyhood, de Richard Linklater. L’heure est à l’introspection et à la méditation sur le temps qui passe.
  • 2020 : The King of Staten Island, de Judd Apatow. On s’en parle tout de suite. 
Will Hunting, le film qui vaudra à Robin Williams son seul Oscar

Lorsque je suis sorti de la projection du King of Staten Island, j’avais l’impression qu’il s’était écoulé bien plus de 25 ans entre Will Hunting et cette comédie dramatique, tant les valeurs mises en avant et la définition du mot « succès » avaient changé. J’ai essayé de comprendre pourquoi et ça donne ça. 

  • Un génie et un homme ordinaire 

Dans les deux films, les héros, Will Hunting (interprété par Matt Damon encore inconnu) d’un côté, Scott Carlin (interprété par Pete Davidson) de l’autre, se trouvent hors du système. Les deux trainent avec leurs potes toute la journée. Le pub et la bière de 1997 se sont transformés en cave et jeux vidéos en 2020. La virilité et la bagarre dépeintes dans Will Hunting sont totalement absentes du King of Staten Island, puisque Scott et ses copains sont plutôt frêles et que Scott en prend régulièrement plein la gueule. 

Le génie en action

Mais surtout, Will Hunting est un génie des mathématiques méconnu qui préfère fuir les études et la société, enseveli sous de bien trop nombreuses peurs, dont celle de la peur d’échouer. Alors que Scott est tout sauf un génie. Et il le sait, se qualifiant lui-même fréquemment dans le film d’idiot, d’imbécile.

En revanche, il a une passion : le tatouage. Il n’est pas doué certes, ce que ne manque pas de lui dire son idole (le tatoueur reconnu du quartier), mais il a du coeur. Et ne demande qu’à pratiquer pour s’améliorer, ce que lui permettent de faire occasionnellement ses copains, puisqu’il n’a plus de place sur son propre corps. 

En réalité, Scott est tout sauf idiot. Il a juste été traumatisé par la mort de son père, pompier téméraire qui n’a pas réchappé à un incendie. Quand Will Hunting arrête ses études sans que le film n’explique explicitement pourquoi, on comprend très explicitement dans le King of Staten Island que c’est à cause d’un drame familial. En 2020, la vulnérabilité est autorisée !

  • Des mathématiques aux tatouages

Amusant également de constater que la quête des deux héros va consister pour Will Hunting à laisser son incroyable talent pour les mathématiques s’exprimer librement, quand il s’agit pour Scott de travailler dur afin de pouvoir assumer son aspiration pour le tatouage. D’un côté, les maths comme gage de réussite, avec le don inné mis en avant. De l’autre, le tatouage comme mode d’expression, avec la nécessité de travailler pour pouvoir le développer.

1997-2020. Le mouvement hipster est passé par là, et la réussite a changé de camp. On ne rêve plus de devenir trader mais startuper. On ne rêve plus de beaux endroits tout lisse tout propre, mais d’endroits cachés, au charme discret, qu’il faut dégoter. Le héros n’est plus ce brillant cerveau pétri de névroses et de peurs, mais ce personnage ordinaire auquel tout le monde peut s’identifier, qui rêve de devenir tatoueur mais devra bosser dur pour y arriver. En gros, l’histoire de tous ces profils dits « atypiques » qui doivent bosser dur pour arriver à leurs fins, puisque leur parcours ne les prédispose pas naturellement à ce qu’ils souhaitent faire.

Par ailleurs, intéressant de constater comme le regard porté sur le tatouage a changé en presque 25 ans. Il n’y a qu’à regarder les bras des joueurs de NBA pour s’en convaincre. On ne se pose plus la question de savoir quelle image cela renverra dans trente ans ou comment les autres le percevront. Il devient un signe distinctif à part entière, une marque de fabrique, une façon de se singulariser. Comme si le fait d’arriver à trouver sa place dans ce monde formaté était une obsession de plus en plus commune.

  • Des professeurs et psychologues aux pompiers

Les deux films parlent du temps que cela prend et du long chemin qui est le nôtre pour finalement arriver à être soi. Mais dans le cas de Will Hunting, c’est un professeur émérite de mathématiques couplé à un psychologue qui arriveront à convaincre Will Hunting d’assumer son génie et d’en faire profiter autrui, quand ce sont des pompiers qui vont aider Scott Carlin à trouver son chemin.

Une nouvelle famille

Mieux que ça (attention spoiler), c’est son ex-futur beau-père, Ray Bishop (interprété par Bill Burr) qui lui assène cette belle et simple phrase : « Je crois en toi » en découvrant avec surprise l’un de ses dessins. Et lui offrira son dos pour s’entrainer. Ce sont des pompiers qui recueillent Scott quand il n’a plus d’abri, et l’accueillent dans la famille qu’il n’a pas connue assez longtemps.

Le message est clair : n’attendez pas que des élites ou des gens aux talents hors normes détectent le votre et facilitent votre ascension. Entourez-vous de gens bienveillants, qui sauront vous soutenir, même de façon bancale, afin de trouver l’élan qui vous manque pour être vous-mêmes. Et vous lancer.  

  • Conclusion

On pourrait disséquer les deux films pendant des heures tant ils sont jonchés de contrepoints, parlant de deux époques, de deux sociétés, de deux façons de s’exprimer et d’exister. De nombreux messages sont similaires :

  1. Difficile d’y arriver seul, sans le regard bienveillant de gens autour
  2. Etre soi ce n’est pas acquérir quelque chose, c’est plutôt se départir de tous les obstacles et empêchements
  3. On accepte véritablement d’être soi que lorsque l’on fait la paix avec soi-même, son passé, son parcours

Ces messages, que certains trouveront assurément lénifiants mais qui constituent néanmoins des étapes indispensables à un mieux-être, sont illustrés dans les deux films de manières bien différentes, au reflet de deux sociétés qui en 25 ans n’ont plus grand-chose à voir. Et qui ne valorisent plus les mêmes personnages, les mêmes formes de réussite.

L’amour, seul déterminant commun de deux époques ?

Rassurant néanmoins de constater (attention re-spoiler) que les deux films se terminent de manière identique, par le fait de se jeter à l’eau pour retrouver la personne aimée et délaissée tout le film. Puisqu’avant d’aimer quelqu’un d’autre, il faut déjà un peu s’aimer soi (Guy Corneau sort de ce corps :).

Mais même dans les deux séquences finales se trouvent une différence fondamentale. Dans Will Hunting, il prend la voiture pour retrouver sa belle partie à l’université, quand dans The King of Staten Island, il l’accompagne en bateau pour qu’elle passe un concours afin de travailler dans l’administration et servir la ville de New-York. La brillante étudiante façonne sa carrière dans le premier film quand l’autre s’engage au profit du bien commun. Comme si au-delà de la révélation de ses propres talents, la cause pour laquelle on les exerce est finalement le plus important.

Alors, vous reconnaissez-vous plutôt dans la team Will Hunting ou The King of Staten Island ? A vos commentaires 😉