L’un des rares intérêts de ce nouveau confinement est de pouvoir s’adonner à l’une de nos – récentes – activités préférées : le binge-watching ! Que l’on pourrait traduire par « visionnage boulimique ». Ce que j’ai fait ce week-end en deux soirs de l’excellente série « Le jeu de la dame« , ou « The Queen’s Gambit » en anglais. Cette série met en scène le parcours d’une surdouée des échecs, Beth Harmon (Anya Taylor-Joy), qui, et c’est un euphémisme, a connu un début de vie difficile. Outre le fait que cette série soit très rapidement très prenante, elle constitue une excellente leçon de management des talents. Voici les quatre principales que j’en ai retiré (que je vais tâcher de décrire sans spoiler la série, même si cela risque d’être difficile…).
- Le talent c’est bien, le travail c’est mieux
La série montre comment Beth Harmon prend conscience de son talent au sein de l’orphelinat dans lequel elle a été recueillie , à neuf ans, en jouant en cachette avec le gardien de l’établissement, M. Schaibel (Bill Camp). Pour des besoins scénaristiques, elle se verra bien sûr mettre quelques bâtons dans les roues avant de pouvoir s’adonner pleinement à la compétition. Intéressant d’abord de constater que la prise de conscience de son propre talent ne va pas de soi. Elle a besoin que son adversaire formule le fait qu’elle est tout simplement « stupéfiante ». En effet, sans référentiel aucun, comment savoir ce que l’on réalise est hors du commun (quand cela est le cas) ?
Assez rapidement, elle commence à gravir les échelons en battant des joueurs de mieux en mieux classés. Jusqu’au moment où elle bute sur un adversaire, Benny Watts (Thomas Brodie-Sangster), qui a lui aussi révélé son talent très jeune. La question qui se pose est : est-il plus « doué » qu’elle ? Ce qui signifierait que l’amplitude de son don est supérieure à celui de l’héroïne ? Ou a-t-il simplement travaillé davantage ?
La série n’a de cesse de démontrer que si le talent permet assurément de « percer » et de sortir de la masse, il ne permet pas à lui seul de gravir des sommets. Cela passe forcément pas du travail et de la discipline ! Ce que confirme d’ailleurs le récent documentaire sur Sting réalisé par Julie Veille Cela constitue une affirmation intéressante à l’heure où nous souhaiterions que tout soit immédiat…
2. Le talent ne soigne pas nos « démons »
Evidemment, le parcours de Beth lui a adjoint quelques démons dont elle n’arrive pas à se débarrasser : la peur de devenir (ou d’être ?) folle, la peur d’échouer, la peur de manquer de talent, …. Démons qui comme souvent la poussent à littéralement se saborder, comme pour mieux leur donner raison.
La série montre bien comment, malgré tout le talent et le travail qu’elle finit par accomplir pour exceller dans son art, elle finit souvent par retomber dans ses travers alors qu’elle est aux portes de la gloire. Tout le talent du monde n’exempt pas son possesseur d’un « assainissement du terrain » qui lui permettra de l’exercer pleinement et librement. En lisant ces lignes, on pense forcément à tous ces sportifs, artistes, voire personnalités politiques, qui ont échoué à cause de leurs addictions. Mais qu’en est-il de nous ?
Si cela est moins spectaculaire, les fameux « je ne vais pas y arriver », « c’est trop dur pour moi » et autres « ça ne sert à rien » sont autant de signes de l’un des plus grands démons qui soit : le manque de confiance en soi. Véritable catalyseur de tant de peurs…. A l’image de ceux de l’héroïne de la série, nos démons agissent tels des peaux de banane nous empêchant bien souvent de franchir le pas, celui qui nous permettrait de pénétrer une nouvelle dimension, d’accéder à de nouveaux possibles. Difficile de s’en sortir seul, ce que montre également la série.
3. Le talent n’exclut pas la collaboration
(Attention gros spoiler) Certains de ceux que Beth a battu vont finalement devenir ses meilleurs alliés, et ce à deux titres ! Harry Beltik (Harry Melling) et Benny Watts vont en effet chacun à leur tour et à leur manière l’aider à sortir de ses addictions. Au risque de se voir rejeter par celle qu’ils tentent d’aider (ça vous rappelle une situation vécue ?). Aider quelqu’un requiert une grande dose de courage puisque cela nécessite bien souvent d’aller à l’encontre de ce que la personne croit bon pour elle, de ses habitudes, voire de ses certitudes.
D’autre part, Benny lui fait comprendre une chose essentielle qui constitue quasiment LE reveal de la série : la réussite est toujours affaire de collaboration ! En effet, lors d’une séquence clé de la série, Benny explique a Beth que si les Russes sont si dominants aux échecs, c’est parce qu’ils collaborent, ce dont les américains sont incapables du fait de leur fierté déplacée.
Ainsi, lorsque Beth commence à s’ouvrir aux autres et accepte l’aide qui lui est proposée, elle peut enfin franchir les derniers kilomètres qui la séparait du Graal (que je ne révélerai pas par respect pour ceux qui n’ont pas encore vu la série…;)). Accepter cette aide revient à déconstruire cette fausse idée consistant à croire que sa réussite personnelle a moins de valeur si elle s’appuie sur l’aide d’autrui. Quel prétentieux faut-il être pour voir en la collaboration un signe de faiblesse ou une altération de sa réussite…. Lorsque l’on voit que derrière tous les hommes et femmes que nous admirons il y a toujours cet « autre de l’ombre » (cf. Barak & Michelle Obama, Steve Jobs & Jonathan Hive, …), on se dit que l’on aurait bien tort de vouloir « y arriver seul(e) ». Cet autre qui, souvent, nous permet de prendre conscience de notre propre talent, de ce qui fait notre différence.
4. Le talent est une énigme qu’il faut percer
La série montre de façon intelligente que la découverte du talent de Beth se fait par étapes… et que plus elle arrive à comprendre ce qui crée vraiment sa singularité, ce qui fait sa différence d’avec les autres joueurs, plus elle libère son talent !
En l’occurence (attention re-gros spoiler), ce qui différencie clairement Beth des autres joueurs réside dans son intuition et sa puissance créative ! Ce qui explique qu’elle rechigne à étudier les parties des plus grands maitres quand ceux-ci jouent de manière – qu’elle juge – trop classique. Et une fois encore, cette prise de conscience s’effectue au cours d’une conversation avec un ami qui lui veut du bien.
Son talent explose véritablement quand elle réussit à trouver l’équilibre entre l’étude des parties d’autrui, étape indispensable à tout joueur d’échecs, et le fait d’arriver à pleinement exprimer sa puissance créative. A noter d’ailleurs que ce don qu’elle finit par totalement exprimer se rapproche grandement de celui du héros de la nouvelle de Stefan Zweig, Le jour d’échecs.
Que ce soit avec l’oeuvre de ce dernier ou avec la série, on comprend au passage ce que pourrait être l’une des différences fondamentales séparant l’humain de l’intelligence artificielle : la capacité à un moment donné de sortir de tout schème du passé pour agir de façon inédite ! Ce qui est en définitive le talent de Beth. Cela serait probablement vrai si certaines intelligences artificielles telles que Alphago n’avaient pas fait preuve de « créativité ». Ce qui renvoie à une toute autre question : qu’est-ce que la créativité ? Mais c’est là l’objet d’un autre article…. 😉