Oui, cela va vous paraître bizarre. Mais quand je suis sorti de la projection du très contesté mais néanmoins excellent Bac Nord, de Cédric Jimenez, je n’ai cessé de faire le parallèle entre cette histoire de flics qui passent leur temps à risquer leur peau dans les quartiers nord de Marseille en étant payé au SMIC, et les managers de proximité. Quoi que l’on pense du film et de ses biais éventuels (le réalisateur a-t-il magnifié des policiers qui s’avéreraient en fait être de réels « ripoux » ?), il dépeint avec un certain réalisme le vécu de policiers contraints dans certains environnements, dans certaines circonstances, de flirter avec les frontières séparant flics et voyous pour arrêter ces derniers. A l’instar de tant de films avant celui-ci : Dirty Harry, Le marginal, Serpico, … Quel rapport avec les managers de proximité ? La réponse ci-dessous.
Des personnes à qui l’on en demande toujours plus
Bac Nord montre bien qu’au-delà des risques afférents au métier de policier, cette fonction est soumise comme toute autre à la pression des chiffres, dont le nombre d’arrestations par jours. Il apparaît clairement qu’on leur en demande toujours plus, sans évidemment augmenter leur rémunération ou leur qualité de vie au travail. Ca ne vous rappelle rien ?
En moins de quinze ans, les attentes autour des managers de proximité n’a cessé de croître, comme le démontre encore ce récent article. Ils se doivent aujourd’hui d’être les vecteurs de : la transformation digitale (en adoptant et faisant adopter une multitude d’applications diverses et variées) ; l’expérience des collaboratrices et collaborateurs (avec une pression accrue depuis la crise sanitaire en cours) ; leur engagement ; l’identification des talents et leur développement ; etc. En plus évidemment du suivi classique de l’activité opérationnelle qui leur était déjà dévolue.
Ce qui nécessite rien de moins que de développer, en plus de compétences métiers ou techniques, ces fameuses soft skills, parmi lesquelles on recense la créativité, l’empathie, l’adaptabilité (visant notamment à personnaliser les relations au travail), la capacité à fédérer une équipe, etc. Ce qui fait que rien que pendant le mois de mars 2020, l’entreprise a soudainement attendu d’eux qu’ils soient capables de : se tenir au chevet des collaboratrices et collaborateurs psychologiquement frappés par la crise ; faire la même chose avec les clients ; maintenir une dynamique collective ; redéfinir les objectifs fixés en début d’année (qui ne valaient alors plus grand-chose…) ; maintenir l’entreprise en vie ; …. Toute ressemblance avec Wonder Woman ou Superman serait bien sûr totalement fortuite.
Une question se pose : et tout ça en contre-partie de quoi ?
Des personnes que l’on reconnaît toujours moins
Durant ces mêmes quinze ans les DRH ont pu – pour la plupart – s’installer confortablement à la table des Codir et autres Comex. Les fondateurs de startups sont devenus les stars de ce qu’il est convenu d’appeler la french tech. Les salariés sont – pour les plus chanceux d’entre eux – désormais traités comme des clients, eut égard à la fameuse symétrie des attentions décrite par Vineet Nayar. En revanche, quid du statut des managers de proximité ? Toujours entre « le marteau et l’enclume », avec d’un côté la stratégie des instances dirigeantes à faire exécuter, et de l’autre les attentes et contraintes grandissantes des salariés.
Loin de jouir d’une quelconque notoriété supplémentaire, des journalistes me demandent au contraire encore régulièrement si leur statut n’a pas été fragilisé par la crise en cours. Comme le disait Michel Denisot à l’époque où il présidait le PSG : quand l’équipe gagne, c’est qu’elle a bien joué, mais quand elle perd, c’est que l’entraineur est nul. Comment se fait-il en l’occurence que le monde de l’entreprise ne réalise pas à quel point les managers de proximité ont été essentiels durant les dix-huit derniers mois ? Incarnant à eux seuls, fortement aidés par les RH, le lien entre l’entreprise et ses salariés.
Dans Bac Nord, on découvre tristement (même s’il ne s’agit que d’une fiction) que pour l’administration centrale, arrêter un « gros bonnet » ou un pickpocket est quasiment pondéré de la même manière. Alors pourquoi risquer sa vie à courir après un gros bonnet ? En poursuivant la métaphore filée, comprendre : qu’est-ce qui pourrait bien motiver les managers de proximité à « tenir la baraque » puisqu’ils ne se voient jamais récompensés de leurs efforts ?
Une certaine idée de l’altruisme
Comme le montre très bien le film, les gens qui choisissent le métier de policier le font d’une certaine façon comme une évidence. Parce qu’il leur permet de faire valoir leurs idéaux, de mener un combat auquel ils croient. Il en est peut-être de même, sans tomber dans la grandiloquence, pour les managers de proximité. Ce rôle ne permet-il pas à la fois de faire valoir un certain réalisme économique et une certaine idée de la collaboration en entreprise ? Ne s’agit-il pas aujourd’hui d’être capable de concilier des impératifs liés à des objectifs, une stratégie, avec les nouvelles contraintes et attentes des personnes au travail ? Voire de se transformer en véritables alchimistes, s’agissant de combiner besoins individuels et besoins du collectif ? Guidé par la seule volonté que chacun puisse s’épanouir davantage, tout en permettant à l’entreprise de continuer à fonctionner, voire prospérer.
Les managers de proximité ont pour mission de constituer cet équilibre pro-perso, respectant la nouvelle place que le travail occupe dans la vie des gens, avec la productivité attendue (qui doit parfois être accrue afin de compenser les dix-huit mois passés) par les dirigeants et actionnaires. Comment faire pour ne pas céder à l’individualisme, ni tenter de forcer le retour au monde d’avant (si tant est que ce soit possible…) ? Où trouver la motivation et l’énergie nécessaire pour se réinventer, une nouvelle fois ? Réinventer la manière de créer un collectif parfois éclaté au quatre coins de la France, de faire que les gens arrivent à se synchroniser sans rien imposer (ou presque), de capturer l’information, de brainstormer, etc.
Une source de motivation pérenne ne peut être que la ferme volonté de servir autrui, s’agissant de sa direction ou des membres de son équipe. Si l’on ne peut à proprement parler de sacerdoce, être manager de proximité en 2021 requiert indubitablement de faire preuve d’altruisme, de ténacité, et d’un certain idéalisme. Faut-il encore, à l’image des policiers dépeints dans Bac Nord, pouvoir conserver cette énergie dans la durée, jouant de ses propres attentes et contraintes. Avec comme seuls véritables alliés les Ressources Humaines, dont le rôle ne cesse également d’être redéfini.
Alors, prêt(e)s pour la rentrée ?