En sortant de l’entretien avec Laure Closier et Christophe Jakubyszyn ce matin (Le Grand Débrief, sur bfmbusiness tous les matins à 8h35), un certain nombre d’idées concernant la rémunération des salariés en entreprises – au coeur de notre échange – ont émergé. En effet, compte-tenu de la forte inflation que nous connaissons actuellement, de plus en plus de salariés se retrouvent à réduire leur train de vie, la hausse des salaires étant largement inférieure à l’inflation. C’est pourquoi la question de l’augmentation des salaires n’est plus cantonnée aux entretiens annuels d’évaluation de début d’année mais intervient maintenant plusieurs fois par an. Comment les managers et dirigeants de tous crins peuvent-ils gérer cette situation assez inédite ?
L’argent n’est finalement pas si magique que ça
Nous avons été habitué depuis le début de la pandémie à voir des milliards se débloquer « miraculeusement » au fil des mois. Il est important de préciser que ce mécanisme est difficile à répliquer en entreprise. Tout d’abord parce que le « miracle » en question s’appelle de la dette. L’argent que l’on obtient un jour, il faudra le rendre le lendemain (ou le surlendemain), ce que d’aucuns semblent largement oublier. Il existe évidemment une alternative, largement relayée dans la presse, à l’endettement : les levées de fonds. Pour financer leur croissance, les start-up augmentent leur capital et vendent des parts à des fonds d’investissement qui récupéreront leur mise – multipliée par X dans les bons cas – lors de la vente de l’entreprise.
Dans tous les cas, l’argent récupéré est rarement consacré aux augmentations de salaires car ceux qui le donnent le font pour soutenir de nouveaux investissements, qu’il s’agisse de développement de produits ou services, de recrutements ou d’expansion à l’international. Le problème des dirigeants est le suivant : comment expliquer aux salariés que les augmenter est impossible quand on vient de lever plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros ? La réponse est simple : en expliquant que l’augmentation des salaires ne viendra pas de cet argent mais de la croissance engendrée par les investissement que cet argent permet.
Le problème est le suivant : est-on bien sûr que tout le monde bénéficiera de la croissance en question ? Ce problème de redistribution est le même en entreprise que dans la société civile. Si les start-up savent très bien manier les outils à leur disposition, dont les BSPCE (Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise) font partie, la plupart des entreprises ne savent pas intéresser leurs salariés à la réussite de l’entreprise. C’est probablement ce sujet sur lequel il faut se pencher urgemment plutôt que sur le fantasme d’augmentations de salaires tout au long de l’année (qui ne se produiront de toute façon pas).
La rémunération oui, mais pas que !
Derrière cette question bien réelle des rémunérations, évidemment corrélée à l’inflation actuelle, se cache un autre problème : celui de la crise du travail ! Depuis la pandémie de la Covid-19, la place du travail dans nos vies est totalement remise en cause. Cela s’avère particulièrement dans des secteurs comme la restauration présentant le symptôme « gros horaires-petits salaires ». Les gens ont eu, au moins pendant les confinements successifs, le temps de se demander à quoi bon perdre sa vie à la gagner, pour découvrir qu’ils avaient peut-être d’autres alternatives.
Les salariés pouvant bénéficier du télétravail (ce qui est loin d’être le cas pour tout le monde) ont eux découvert que ne plus se lever à l’aube pour se ruer dans les transports avant d’arriver dans des bureaux qui donnent juste envie de repartir en courant était non seulement possible, mais constituait une véritable source de satisfaction. Voire même parfois de productivité (ce deuxième point restant évidemment à analyser au cas par cas…). Ils ont également eu le temps de méditer sur cette fameuse « quête de sens », à l’aune des différentes crises en cours (Covid-19, Ukraine, réchauffement climatique, …).
Par conséquent, la rémunération n’est plus l’alpha et l’oméga du travail. Si comme aime à le rappeler le philosophe André Comte-Sponville, on travaille d’abord pour de l’argent, le fait que l’on travaille dans telle ou telle entreprise, avec tel ou tel manager, sur telle ou telle activité, est lié au fait que l’on pense que l’on y sera plus heureux. A la question des rémunérations doivent donc s’adjoindre bien d’autres critères, dont ces quatre essentiels :
- La pénibilité du travail et les contraintes imposées
- Le sens que l’on y trouve
- Ce que l’on apprend de notre activité
- L’environnement de travail lui-même (collègues, bureaux, etc.)
La découpe du travail en projets
Si l’organisation du travail en projets n’a rien de nouveau et a été éclairée maintes fois comme la solution miracle, en particulier dans les années 90, il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle elle a beaucoup de sens ! Parce qu’au-delà de la question essentielle des salaires se pose la question de l’employabilité. L’enjeu n’est pas tant de savoir si l’on gagnera 2, 3 ou 5% de plus aujourd’hui mais plutôt si l’on pourra encore occuper son métier demain, tant l’évolution du marché du travail et des compétences requises est importante.
Ainsi, se voir offrir la possibilité de participer à tel ou tel projet afin de s’assurer que telle ou telle activité nous convient et que l’on a les compétences requises, mais aussi d’identifier les compétences qu’il nous faudrait développer pour être performant, a beaucoup de valeur ! Puisque ne l’oublions pas, l’un de enjeux clés du marché du travail actuel a trait au développement des compétences qui seront nécessaires aux métiers de demain.
Parmi ces compétences :
- Les fameuses soft skills ou compétences comportementales qui permettent de s’adapter aux environnements hautement changeant dans lesquels nous évoluons actuellement. Parmi ces compétences, la capacité à apprendre, à collaborer, à développer une certaine curiosité, une certaine confiance en soi, etc.
- Les compétences qui ont trait au digital, afin non pas de tous devenir développeurs informatiques, mais d’être tous capables de savoir tirer profit des innovations technologiques proposées
- Les compétences en voie d’obsolescence, parmi lesquelles bon nombre de compétences artisanales et d’expertise de pointe
La question de la hausse des rémunérations, si elle s’avère essentielle dans le cadre économique actuel, ne doit ainsi ni masquer ni se substituer à un grand nombre de questions plus stratégiques et sociétales. Encore faudrait-il pour aborder ces questions définir ou disposer d’un cap, d’une vision de la société et du travail de demain, qui permettront de coordonner toutes les actions menées par les instances politiques et entrepreneuriales… A voir le nombre et l’ampleur des crises actuelles, il serait grand temps de se hâter lentement.