Dans l’édito du Monde du 13 mai, il était question de « La culture à l’ère de l’abonnement numérique ». Il est notamment évoqué le fait que « Welcome to New-York », le film d’Abel Ferrara inspiré de l’affaire DSK, sera disponible en VOD pour 7 euros pendant toute la quinzaine du festival de Cannes, ce qui bouscule évidemment les règles de distribution habituelles.
Plus globalement, c’est tout le domaine de la culture qui est bousculé puisque l’on n’achète plus de disques ou de Blu-Ray, on s’abonne sur Spotify ou Netflix, passant ainsi d’une logique de stock à une logique de flux ! Ce changement de paradigme a évidemment déjà été décrit par de brillants auteurs tels que Joel de Rosnay ou Jeremy Rifkin, respectivement au travers des notions de société fluide ou d‘âge de l’accès. On ne possède ou n’acquière plus, on accède à. On met à disposition aussi, beaucoup, comme le démontre le fabuleux succès de Airbnb.
Cela s’étend bien sûr aux entreprises, à commencer par les locaux, avec des services tels que BirdOffice. Puisque toutes les entreprises manquent de place et que l’immobilier d’entreprise coûte une fortune, pourquoi ne pas proposer des services de location d’espace à l’heure ? Ce qui est fascinant est que cela ne s’applique pas uniquement aux actifs matériels et tangibles mais s’étend au capital humain de l’entreprise !
En passant d’une logique de stock à une logique de flux, on passe de la notion d’entreprise à celle d’écosystème. L’enjeu pour l’entreprise n’est plus de « posséder » toutes les ressources humaines dont elle a besoin pour répondre à ses enjeux et objectifs stratégiques, mais bien d’accéder aux services, compétences, connaissances et expertises qu’elle doit mobiliser. Et ce indépendamment du fait que ces expertises soient internes ou externes à l’entreprise. Par conséquent, l’enjeu est peut-être moins de recruter à tout va que de produire une cartographie des personnes – internes et externes à l’entreprise – qui pourront nous aider sur un projet donné, dans un contexte donné. Certains esprits malins pourraient arguer que cela a toujours existé et porte un nom : la sous-traitance. La différence avec « avant » est double :
- Du fait que le travail soit à caractère de plus en plus intellectuel et de moins en moins manuel, il est possible de mobiliser l’expertise d’un sachant sans forcément le solliciter IRL (« dans le monde réel »). On pourra consulter et échanger avec lui sur son blog, le faire participer à une communauté, le suivre sur Twitter, etc.
- Il est possible de faire intervenir des personnes sur un projet sans nécessairement les rémunérer. Si une personne considère qu’elle s’enrichira davantage – en termes d’apprentissage, d’accumulation d’expérience, d’influence – à participer gracieusement à un projet qu’à ne pas le faire, intervenir gratuitement devient possible. Mieux, si elle considère que cela permet de renforcer des liens faibles existant entre les différentes parties prenantes et ainsi faire vivre son écosystème, elle le fera sans hésiter. Pourquoi ? Parce que demain, c’est notre écosystème qui nous permettra d’accéder aux projets qui nous intéressent le plus et ainsi de nous accomplir, puisque ces projets ne peuvent plus être ceux d’une seule entreprise
Le « avant » dont il est ici question, c’est finalement avant que la notion d’influence ait remplacé celle de pouvoir ; avant que les médias sociaux nous permettent de créer plus de relations – fortes ou faibles – que l’on en a jamais développé, avec le volant d’opportunités qui en découle ; avant que la connaissance soit la nouvelle monnaie d’échange nous permettant de nous développer et nous accomplir au travers de nos activités (professionnelles ou personnelles).
Ramené à un niveau plus micro, l’importance au sein d’une entreprise n’est pas de savoir qui manage qui, ou qui appartient à quelle équipe, mais bien de savoir qui est le plus à même de contribuer à une mission ou un projet, indépendamment de son rattachement à une entité ou à un service. Ce qui nécessite de revoir en profondeur la notion de service et les liens hiérarchiques associés. Encore faut-il pour avoir accès à ces personnes qu’elles soient disponibles, ou que leur manager hiérarchique décident de les rendre disponibles… Et qu’elles soient intéressées à contribuer à un projet, puisque leur production dépendra directement de leur motivation.
Finalement à l’âge de l’accès, le RH, et avec lui le manager, deviennent community manager, et leur mission clé devient de développer le réseau relationnel – interne et externe à l’entreprise – qui leur permettra d’assurer la présence des personnes les plus appropriées, à un moment et dans un contexte donnés, à un projet de leur entreprise. Savoir intéresser ces personnes, les motiver, les engager, deviendront leurs tâches quotidiennes. Bien entendu des différences majeures existent entre ces deux rôles clés de l’entreprise, mais cela constituera l’objet d’un prochain post 😉