J’ai participé hier au chantier d’un copain en train de refaire sa maison.
Il s’agit vraiment du gros œuvre puisque nous avions au programme marteau piqueur, cassage de murs, etc.
Lors du déjeuner, l’un des complices appelé « Pierrot les mains d’or » me racontait que la veille, il avait déplacé un escalier de 1,8 tonnes sur une dizaine de mètres !
« C’était facile, sauf pour le faire passer là », me dit-il en désignant un passage d’1m de large…Évidemment, étant donné mes piètres talents de bricoleur, j’ai eu du mal à contenir mon étonnement et mon admiration.
En lui demandant plus de détails, il m’explique qu’il a passé une journée à tout préparer, pour que cet « exploit » soit possible, voire facile. Il continue en me racontant qu’il est spécialiste du gros œuvre, qu’il a fait ça toute sa vie.
Je me suis alors demandé ce que pouvait bien valoir le talent face à l’expérience.
Je ne suis pas en mesure de juger si Pierrot est talentueux ou non, mais à entendre toutes ses anecdotes, il est assurément expérimenté ! Cette expérience lui permet de faire face à toutes sortes de situations et de savoir quoi faire quand.
Je lui ai alors demandé s’il avait entamé ce parcours parce qu’il se sentait doué ou par simple opportunité. Il m’a simplement répondu que « ça s’est fait comme ça… ».
Alors voici finalement ce que l’on peut se demander face à un homme comme lui (dont je demeure au passage assez admiratif) :
- Le talent, au sens de don, est-il un accélérateur qui permet de faire autant avec moins d’expérience ?
- Le talent demande-t-il dans tous les cas de l’expérience pour se développer?
- Ceux que l’on dit appartenir à la génération Y ont-ils conscience de la valeur de l’expérience ?
- Et ceux qui en ont ont-ils envie de la partager avec les jeunes talents qui arrivent dans l’entreprise ?
- L’expérience des autres ne peut-elle pas permettre d’éviter bien des difficultés ?
- Pourquoi ceux que l’on appelle les seniors ne sont-ils pas davantage valorisés dans l’entreprise ?
- Et cette faible reconnaissance de l’expérience des seniors est-elle la même dans tous les pays ? Tous les continents ?
J’espère que vous répondrez à ces quelques questions afin que nous échangions sur ce sujet passionnant !
A vous de jouer 😉
Bonjour,
Vos questions sont très très intéressantes et je vais essayer d’y apporter mes réponses personnelles :
* Le talent, au sens de don, est-il un accélérateur qui permet de faire autant avec moins d’expérience ?
Pas sûr qu’il s’agisse d’un talent au sens de don au départ. A mon sens, au départ, le « ça s’est fait comme ça », correspond davantage à une envie d’apprendre, une envie de faire pour progresser et pour se prouver avant tout à soi-même ce dont on peut être capable. Ce serait donc plutôt la volonté qui serait l’accélérateur d’expérience.
* Le talent demande-t-il dans tous les cas de l’expérience pour se développer?
Encore une fois, au début, on a beau dire tout ce qu’on veut, mais l’expérience on ne l’a pas. Alors si on se sent du talent, c’est un peu comme quand il s’agit de se jeter à l’eau pour nager. Il faut en avoir l’envie et dépasser ses appréhension, se dire toujours « je peux le faire, je peux y arriver ». L’expérience se développe au fur et à mesure, à force d’avoir envie, à force de chercher et trouver des solutions pour y arriver. C’est encore la volonté qui nourrit l’expérience.
* Ceux que l’on dit appartenir à la génération Y ont-ils conscience de la valeur de l’expérience ?
Je crois que quand on est tombé très tôt dans la marmite de la volonté, elle ne nous abandonne pas et les épreuves nous en font prendre conscience. Par contre comment en faire prendre conscience à l’extérieur dans l’humilité ?
* Et ceux qui en ont ont-ils envie de la partager avec les jeunes talents qui arrivent dans l’entreprise ?
La question consisterait plutôt à se demander comment préparer les différentes générations au partage. Parce qu’il ne suffit pas que la génération Y souhaite partager ses expériences, si la génération des jeunes talents n’y est pas préparée. Il y a là un réel travail à réaliser au sein des entreprises, pour que les 3 générations puisse exploiter ses talents ensemble, sans à priori.
* L’expérience des autres ne peut-elle pas permettre d’éviter bien des difficultés ?
Bien sûr que l’expérience est un fil conducteur. On doit tous tirer parti du passé, de l’expérience pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Cependant le passé n’apporte pas non plus toutes les réponses et toutes les solutions à toutes les difficultés présentes et à venir. Il faut donc bien travailler ensemble : 3 temps et 3 générations.
* Pourquoi ceux que l’on appelle les seniors ne sont-ils pas davantage valorisés dans l’entreprise ?
Les séniors sont actuellement stigmatisés et mis sur le banc de touche et plus ça va, plus on devient sénior tôt, ce qui est une véritable aberration. Néanmoins c’est une réaction aux abus des séniors eux-mêmes, qui pendant longtemps ont refusé le progrès et se sont montrés comme un frein au changement. Et puis il y a aussi la pression économique. On dégage un sénior qui coûte cher, pour le remplacer par un plus jeune que l’on rémunérera moins et qui peut-être ayant été mieux formé (ca reste à prouver), sera censé apporter autant sinon mieux qu’un sénior. Mais cette logique économique est de court terme et ne réfléchit à toutes les conséquences.
Personnellement, j’ai toujours pensé, même lorsque j’étais junior et middle age, donc avant de devenir sénior, qu’une entreprise saine devait avoir un équilibre générationnel, parce que c’était source de plus de richesse. Il ne s’agit donc pas de privilégier les séniors, mais chacun apporte ses talents et permettre qu’ils cohabitent ensemble.
* Et cette faible reconnaissance de l’expérience des seniors est-elle la même dans tous les pays ? Tous les continents ?
Ca je ne sais pas, j’espère que d’autres pays que la France sont plus ouverts au partage……..
Merci pour ces questions très pertinentes et que j’aimerais que tous les recruteurs se posent en répondant avec sincérité ! Ca viendra, certainement, parce que c’est nécessaire et comme dit Pierre DENIER, Haut les coeurs !
J’ai toujours vu le talent plus lié à l’inné; une capacité à avoir une vision claire, à se lancer dans une action simplement, sans s’ajouter d’obstacle mental.
Dans cet ordre idée, l’expérience est un accélérateur fort, mais je ne crois pas que l’expérience créé le talent.
Même si, talent ne rime pas forcément avec performance mais dépend d’un contexte d’entreprise, d’un contexte managérial, d’un timing et peut s’exprimer de multiples façons comme par des solutions plus créatives, plus innovantes … Il n’en reste pas moins que le Talent, et plus généralement tous les Talents de nos entreprises, ces « pépites » que nous cherchons par tous les moyens à identifier, à placer dans les meilleures conditions dans l’organisation et surtout à développer le sont pour être en mesure de « délivrer » des résultats (quels qu’ils soient) au service d’une stratégie d’entreprise.
Pour ma part, le talent au sens de don est effectivement l’accélérateur qui permet de faire autant avec moins d’expérience. C’est par définition, selon mon point de vue, l’un des critères majeurs qui permet de qualifier quelqu’un de talentueux et c’est aussi pour cela que les entreprises investissent et misent sur ces collaborateurs particuliers.
Dans cette configuration précise de Talent vs Expérience, le Talent permettra à cette personne moins expérimentée qui le possède d’assimiler plus vite et/ou avec un regard différent une tache ou mission à accomplir. Il me semble que grâce à ses « capacités talentueuses » il pourra atteindre rapidement le même niveau de compétence sur cette tâche ou cette mission qu’une personne avec une expérience significative sur cette même tâche ou mission.
Mon propos précédent n’exclut en aucun cas la valeur de l’expérience de l’équation dans la mesure où d’une part, la rapidité et la précision de la personne talentueuse dans l’exécution de la tache ou la mission ne pourra être que plus optimale si le détenteur de l’expérience lui donne les clés de ce qui fonctionnent et les pièges ou écueils à éviter. C’est un peu le principe de l’élève qui dépasse le maitre.
L’expérience des uns permet en effet à mon sens d’éviter bien des difficultés mais l’inconvénient et qu’elle n’offre qu’un prisme de lecture… Prendre le risque d’aller tenter d’autres modes de fonctionnement, innover, ou tout simplement changer alors « que tout roule » sont des choses difficiles. En revanche le Talent se nourrira (surtout et principalement au démarrage d’un dossier ou d’une prise de fonction) de l’expérience des autres et en aura besoin pour justement exprimer pleinement son Talent.
Favoriser et/ ou créer un échange bienveillant et respectueux entre les détenteurs de Talent et les détenteurs de l’Expérience est à mon sens une des problématiques centrales des politiques RH à venir : Génération Y , Tutorat, Knowledge Management … Autant de mots barbares pour traiter de la cohabitation de 2 modes de pensées, de systèmes de valeurs… qui ont toutes les deux des avantages et des choses à apporter à l’entreprise.
La génération Y doit nécessairement prendre conscience de la valeur de l’expérience et les détenteurs de l’expérience doivent apprendre à partager leurs savoirs. La culture d’entreprise et le management ont à mon sens un grand rôle à jouer dans la réussite de cette cohabitation.
Merci à tous pour vos commentaires très précieux ! Je vrais prendre le temps de les lire et les relire afin d’apporter moi-même des questions à ces réponses en rebondissant sur vos propos (qui transpirent le vécu).
Encore merci !
Alex
Je me permet de répondre à votre commentaire suite à votre appartée sur la génération Y.
En écoutant mon entourage (entre 22 et 28 ans environ) je constate que le ressenti de cette génération, qui arrive sur le marché du travail ou qui y ai depuis peu, est que les politiques RH brident leurs envies, motivations et créativité. Que l’on part du principe qu’il ne savent rien faire, car fraîchement sortis d’école, donc qu’ils doivent se fondre dans le moule, dans la fiche de poste proposée, et attendre d’avoir « fait leurs preuves » pour pouvoir faire entendre leur voix. Que du coup, eux qui étaient plein d’envies (malgré ce que l’on dit, ils ne courent pas après les 35h et ont une profonde envie de prendre une place dans l’entreprise, d’apporter leur pierre à l’édifice et de réussir …) se sentent quelque part brimés, et qu’a leur sens c’est une perte de valeur pour l’entreprise : « pourquoi m’embaucher moi si je ne doit surtout rien apporter d’original ? ».
Et je pense que c’est une vrai question, pourquoi encenser partout les atouts de cette nouvelle génération (qui a aussi des défauts bien sur) si c’est pour les faire entrer dans des postes qui eux ont été définis il y a 5 ou 10 ans et ne leurs correspondent pas ?
Dernier point, la génération Y, bien que parfois présomptueuse sur son savoir pratique, à conscience de la valeur de l’expérience. Mais, dans un contexte mondial ou le participatif est à l’honneur (on le voit avec le succès des blogs ou des plateformes comme Wikipedia par exemple), cette génération en comprend pas pourquoi elle doit écouter et apprendre des autres, mais que ce n’est pas vrai dans l’autre sens. Nos parents apprennent de nous chaque jour, donc pourquoi pas nos managers, nos DRH et nos collègues ?