Bouillon de Talent #4 avec Bertrand Duperrin

Un article par mois dans la rubrique Bouillon de Talent ! Après l’interview de Damien Joliot, HR Manager @ People in action, c’est à Bertrand Duperrin, consultant pour le cabinet Nextmodernity de répondre aux 10 questions pour ce 4e épisode 🙂

portrait of bertrand duperrin

Présentation en quelques lignes : qui suis-je ?

Je m’appelle Bertrand Duperrin. Je suis consultant au sein du cabinet Nextmodernity. J’accompagne des entreprises dans leurs projets de transformation avec une approche spécifique : la prise en compte conjointe  des modes de travail, de management et des technologies qui les supportent.

D’une certaine manière j’emprunte mon crédo à Antoine Riboud : Les entreprises les plus performantes sont celles qui pensent solidairement le changement technologique, le contenu du travail et le changement des rapports sociaux internes à l’entreprise.

Sinon je suis un passionné de voyages, de photographie et voue un intérêt très particulier au monde de l’aviation, au transport aérien. Mais je ne crois pas que c’est ce qui intéresse tes lecteurs.

1. Plutôt gestion des compétences ou management des talents ?

J’ai du mal de concevoir que l’un aille sans l’autre. Cela dépend des postes, des profils, de la culture d’entreprise…et, avant tout, de la définition que l’on donne à chacun. On se s’intéresse pas forcément à la même « strate » de la personne.

Mais à titre personnel je suis plutôt « talents ».

2. Qu’est-ce que le talent pour toi ?

Heureusement que la question précise « pour toi » car c’est justement quelque chose de très subjectif. Comme le disent les anglo-saxons « I know it when I see it ».

Alors ça n’engage que moi mais c’est quelque chose qui va au delà la capacité à bien remplir un poste donné, à bien maitriser toutes tâches qui lui sont relatives. Ca c’est plutôt du ressort de la compétence.

Le talent c’est quelqu’un qui en plus de faire bien ce qu’on lui demande (ce qui est un pré-requis) est capable d’emmener son entreprise plus loin. Il est capable, en plus, d’aller plus loin et pas seulement dans ce qu’on peut définir comme du dépassement de fonction. Il est capable d’inventer, créer, définir ou redéfinir ce qu’il y a au delà de son rôle.

Aujourd’hui mais surtout pour l’avenir. Il est capable d’amener la lumière dans les zones grises qui entourent les périmètres connus et d’emmener les autres avec lui. Car le talent ne se limite pas à celui qui le détient : pour être effectif il doit rejaillir sur les autres.

De ce point de vue le talent est une personne qui sans être la meilleure partout réussit à aller plus loin et rendre les autres meilleurs. Il y a donc une part de leadership, même inconscient dans le talent, associée à une certaine créativité et capacité à comprendre et anticiper l’avenir.

3. Cite-nous une personne publique que tu considères comme un talent,  et pourquoi ?

Maintenant que j’y pense, dans le quotidien, on parle davantage de talents pour des artistes ou des sportifs que pour des domaines comme l’entreprise ou la politique. A part au sein des populations RH bien sur. Cela doit vouloir dire quelque chose d’ailleurs…qu’il y a une part de créativité dans le talent qui s’accommode mal de ces activités plus « normalisées » ? Ou que ces activités ont du mal de laisser leur place au talent ?

Alors des talents dans le monde « business »…c’est vrai que j’ai du mal d’en citer à brûle pour point. Peut être parce que, justement, l’entreprise ne sait les valoriser ou qu’ils ont du rentrer dans le rang pour avancer ? Beaucoup de talents de l’entreprise n’accèdent pas au statut de « personnes publiques. Il peut être intéressant de se demander pourquoi.

Alors pour répondre à ta question, et quitte à ne pas être orignal par le temps qui courent, je dirais Steve Jobs. Pas nécessairement le Steve Jobs dirigeant, au sommet d’une carrière aboutie, mais le jeune Steve Jobs lors de ses quelques premiers emplois avant de fonder Apple. Je serai curieux de savoir si ses premiers employeurs l’ont vu comme un talent ou comme un facteur de risque, de trouble, d’instabilité. Enfin…on connait un peu la réponse.

Ce qui, en passant, permet de se rendre compte que dans une organisation qui ne pense pas le talent comme une opportunité et ne le gère pas en tant que tel, le talent peut être vu comme un danger. Pas nécessairement par l’entreprise qui sait en avoir besoin mais par l’encadrement qui n’aime pas ce qui sort des cases…

4. Pourquoi parle-t-on tant de talent aujourd’hui ?

Peut être parce qu’on a fait de la compétence une notion tellement mathématique, administrative, que les dispositifs de pilotage ont donné lieu à la mise en place d’usines à gaz (GPEC…) qui sont nécessaires par leur objectif mais contreproductif par leur forme et les contraintes associées….

Quitte à avoir une approche extrémiste, la compétence c’est quelque chose qui se note, se mesure sur une échelle de 1 à 5, se pilote…au final elle ne laisse qu’une place réduite aux caractéristiques dont on parlait plus haut. D’où l’intérêt d’une discipline plus spécifique pour cette dimension de la personne…

Si on parle beaucoup de talent c’est donc, au final, pour deux raisons :

  • en des temps de remise en cause des modèles existants, où les entreprises cherchent un second souffle, à se réinventer sur différentes dimensions, le talent est la cheville ouvrière de telles ambitions
  • on a tellement rationalisé la compétence qu’on l’a enfermée dans un périmètre limité. Il faut donc autre chose, en complément, pour aller plus loin

J’ajouterai un dernier point, un peu plus cynique. C’est, malheureusement, pour certains, un simple « rebranding » marketing pour dire la même chose avec des mots plus valorisants.

Au final, avec les compétences, on a transformé l’humain en formule quasi mathématique. Avec les talents on va plutôt essayer d’en faire des identités remarquables.

5. Penses-tu qu’il existe une approche plus européenne qu’anglo-saxonne du talent ?

Oui. Déjà parce que le coté légal, administratif et usine à gaz du management des compétences semble moins lourd. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas.

Je pense que les anglo-saxons ont une vision plus dynamique des compétences due à une appétence plus forte pour l’intrapreneuriat (et l’entrepreneuriat d’ailleurs). Ils sont dans des modèles moins figés et plus pragmatiques, flexibles. Par conséquent le talent y trouve davantage sa place car on valorise autant l’individu que son portefeuille de compétences.

Maintenant il ne faut pas tomber dans les généralités. On trouve de tout partout…mais il reste des traits généraux.

6. Les 3 priorités du management des talents ?

  • Construire une sorte de pacte de co-développement : il faut les développer…et s’assurer que leur développement contribue à celui de l’entreprise
  • Ne pas en faire des divas : même s’il est cas un peu à part, il s’inscrit dans un collectif
  • Mais avant tout, et j’aurais du commencer par là, le management des talents doit exister. Ce que je veux dire par là est qu’il ne doit pas être une surcouche améliorée de la gestion des compétences, il doit y avoir un vrai projet pour eux dans l’entreprise et l’entreprise doit être prête à accueillir leur spécificité.

7. Comment repère-ton un talent quand on le croise ?

On en revient « I know it when I see it ». Quand on croise un talent on a envie de travailler avec lui. Qu’on ait un besoin ou pas, qu’on sache à quel poste le mettre ou pas on se dit « je veux l’avoir avec moi ».

Cela me rappelle cette phrase souvent entendue aux Etats-Unis dans les entreprises les plus avant-gardistes sur le sujet. « Quand vous sentez que vous êtes en face de quelqu’un de ‘spécial’, embauchez le tout de suite…quitte à créer le poste après ». Forcément extrémiste mais il y a quelque chose de vrai là dedans.

Cela fonctionne également dans l’autre sens même si on voit souvent le talent de manière « descendante » : en tant que salarié on peut croiser un entrepreneur ou un manager de talent et vouloir tout faire pour le rejoindre…

8. Quels sont les 3 impairs à ne pas commettre avec un talent ?

  • Le brider, le forcer à rentrer dans le rang, l’empêcher de se développer et de s’exprimer
  • Tellement le convaincre de sa supériorité qu’il se transforme en diva. Il n’a qu’un potentiel… qu’il doit transformer. Et comme tout le monde il doit progresser et se remettre en cause
  • L’isoler de la réalité de l’entreprise, trop le couper des autres

9. As-tu du talent ou es-tu un talent?

Cf. ce que j’ai dit plus haut. C’est contextuel et subjectif. Je dois bien avoir quelque talent. En suis-je un ? Pour certains certainement, pour d’autres non. Histoire de besoin et de contexte.

10. Quelles sont d’après toi les futures tendances de la gestion des  talents ?

A la vitesse à laquelle les choses changent… ce n’est pas facile de prédire l’avenir. Plutôt deux vœux en fait :

  • Qu’on apprenne à mieux s’en servir dans l’entreprise. On les développe mais pour faire quoi après ? Encore trop de déceptions de ce coté là.
  • Qu’on démystifie la notion de talent. Talent ne veut pas dire génie ou QI supérieur à la moyenne. On passe à coté de trop de personnes talentueuses, qui ont une richesse à apporter aux autres car on a une vision parfois trop élitiste.

Un grand merci à Bertrand pour ces réponses !