L’amour dure trois ans, par Christelle Arquié

Il y a quelques temps je me suis fait trainer au ciné par deux copines après le brunch de rigueur en pleine période des soldes. Direction Odéon, objectif “L’amour dure trois ans”.

Le samedi suivant je passe au BHV, et à l’entrée – technique marketing dite de la tête de gondole – je vois le livre. Celui écrit par Beigbeder. Bon. Je ne suis pas très fan du personnage – l’auteur, pas le personnage du livre, quoi que – mais comme j’ai un apriori généralement négatif sur les films tirés de livre, que celui-ci n’était pas mal je me suis dit que je (me) devais de le lire sous sa forme originale.

Le lendemain j’attaque le morceau. Façon de parler vu que ça ne fait même pas 200 pages. Arrivée p. 51 je vois :

“Notre génération est trop superficielle pour le mariage. On se marie comme on va au McDo. Après on zappe. Comment voudriez-vous  qu’on reste toute sa vie avec la même personne dans la société du zapping généralisé ?

Profond.

Du coup je me suis demandé s’il en était de même avec le boulot. Est-ce que l’amour dure trois ans ? Nos parents, ou grands-parents, restaient 10, 15 ou 20 ans dans la même entreprise. De même manière, nos parents ou grands-parents ne divorçaient pas avant au moins 10, 20, 50 ans de mariage. Voire jamais. On en connait tous.

Notre génération par contre, c’est “une autre époque”. On s’aime, on change de job, on se quitte, on aime encore, on change de job, on se marie, on divorce, on change encore de job. BREF… On nous apprend que la stabilité c’est pour ceux qui n’ont pas d’ambition. Rester au même endroit, un an puis deux, c’est végéter. C’est se complaire dans son quotidien.  Presque gênant face à la société… Vous en connaissez beaucoup vous des amis, des connaissances, qui a un diner répondent à la question “et toi tu fais quoi dans la vie ?” par “je suis dans la même entreprise depuis X temps”. Moi pas vraiment, les exemples que j’ai autour de moi doivent être sur un turn-over moyen d’un job tous les deux ans. De toute façon c’est mal vu sur un CV de rester plus longtemps. Je ne fais pas de généralités, je constate ce que je vois et entends autour de moi.

Ce qui m’a amené à une autre question. Est-ce pour ça que l’on a inventé la Gestion des Talents ? Pour essayer de maintenir en place des personnes qui, à peine arrivées, ne pensent qu’a partir. Le fameux “next step”. Ce qui est vraiment paradoxal vu l’état du marché de l’emploi. Mais être raisonnable “c’est pour les cons”.

Encore une fois à l’époque de nos parents, et grands-parents, il n’y avait pas de gestion des talents. Et pourtant ils restaient dans leurs entreprises pour faire “carrière”. Il n’y avait pas de gestion des talents car le contexte qui a donné naissance à ce concept n’existait pas.

Il y a peu je lisais “Nous sommes tous singulier” (Seth Godin). Peut-être que la réponse est là.

“Le conformisme de masse, à l’image du concept de masse est un phénomène relativement nouveau. C’est tout un siècle d’industrialisme qui touche à sa fin : un siècle durant lequel tout, des procédés de fabrication aux systèmes d’organisation sociale, en passant par les stratégies de vente et le monde politique, convergeaient vers un seul et unique but: celui de nous pousser vers le centre, lieu de la normalité.”

Ça c’est l’ancienne époque, celle de nos parents.

“Mais le monde a changé et aujourd’hui, les maîtres mots sont ‘information’, ‘choix’, ‘liberté’, ‘interactions’. Et ‘singularité’ aussi.”

Ça c’est nous.

Le monde change, les gens changent et les Directions des Ressources Humains ont le grand mérite de vouloir changer avec leur temps. Vouloir valoriser les employés, donner des labels comme “talents-clés”, former, écouter, créer des Académies d’Entreprise pour lesquelles d’autant tuerait pour en être sont des moyens de retenir, de “fidéliser” – mot emblématique de notre société qui pour le coup ne décrit pas une tendance, mais une réponse.

Je ne crois pas que la génération Y soit en cause, bien que connue pour son inconstance en tout domaine. “Passion-Tendresse-Ennui” le tryptique de l’amour. Est-ce pareil au boulot ? La première année on est ultra motivé, à en avoir les “dents qui rayent le parquet”, la deuxième année on s’installe dans l’habitude du café matinal et du bureau au fond à gauche, la troisième année on s’ennuie et on regarde les autres filles qui passent. D’ailleurs le concept de congé sabbatique pour “accomplir ses rêves et découvrir le monde” existait-il il y a 20 ans ?

Je n’ai pas la réponse à ces questions. Cela dit je crois vraiment que les entreprises ont vécus de plein fouet cette adhésion à l’instabilité qui caractérise une ou deux générations de jeunes cadres trop dynamiques. La fautes à nos parents, à l’année “68”, à Françoise Dolto ? “Les enfants sont les symptômes des parents”.

Retour à Seth Godin :

“Ce désir constant de retour à une âge d’or des masses est responsable du stress que nous ressentons sur le lieu de travail, parce qu’il pousse les gouvernements, les ONG, les entrepreneurs et surtout les grandes agences publicitaires à tout mettre en œuvre pour nous soumettre à la norme. Quelques rares originaux, eux, ont choisi une voie : répondre aux attentes des gens singulier. Le défi à relever qui soit utile et productif avec et pour la tribu qui s’intéressent à vous. Cette tribu c’est à vous de la trouver, de l’encadrer, de gagner sa confiance pour l’emmener là où elle veut et a besoin d’aller.”

Les entreprises sont sur la bonne voie. Nous écouter, nous former, nous pousser, nous accompagner sont autant de remèdes qu’il y a de maux. Moi en tout cas j’ai envie d’y croire. Que le monde du travail saura s’adapter, et ce pour son/notre plus grand bien. Car nous sommes vraiment une génération “participation” – référence au très bon livre de Thierry Maillet – qui croit au concept de Tribu – et non la Masse – et qui sait s’investir quand elle se sent acceptée.

On a tous envie que l’amour dure plus que trois ans, mais pour cela il faut être deux : l’employé et l’entreprise.

Christelle Arquié