Arnaud Gien-Pawlicki est le Responsable Recrutement et Marque Employeur de l’APEC – Association Pour l’Emploi des Cadres.
Pour ce mois de Mai, c’est Arnaud qui se prête au jeu des 10 questions, bonne lecture !
Plutôt gestion des compétences ou management des talents ?
Management des talents 🙂
La gestion des compétences est la réponse apportée par les Directions des Ressources Humaines pour évaluer l’investissement de l’entreprise sur son capital humain et à la fois comment il contribue à sa réussite économique. La gestion des compétences structure la politique RH de l’entreprise tant dans ses schémas organisationnels, ses référentiels, ses outils et se situe dans une démarche, souvent insatisfaisante, de planifier ces compétences sur le long terme. Les démarches de gestion des compétences, se sont traduites souvent pour les collaborateurs et les managers de l’entreprise, par des « usines à gaz », la multiplication des dispositifs d’entretiens d’évaluation, des référentiels trop détaillés ou rigides prolongés par des SIRH très éloignés des usages des populations auxquelles ils s’adressent aussi passionnants qu’utiles. Le management des talents introduit de la souplesse et de l’agilité au sein de l’organisation RH. Il la redynamise à partir d’une démarche active qui vise à réunir l’ensemble des domaines RH dans une logique de « chaine de valeur » pour l’ensemble de ses parties prenantes. Les enjeux posés par la transformation digitale à l’entreprise, aujourd’hui « entreprise connectée », accélère ce repositionnement, favorisant le passage d’une culture de process à celle d’offre de services dans laquelle je m’inscris pleinement.
Qu’est-ce que le talent pour toi ?
Pour moi, la compétence est ce qui oscille entre savoir et expérience, elle est ce qui permet à une personne de bien tenir un poste par exemple. La notion de talent est plus subjective, plus difficile à cerner ou à se laisser enfermer dans un référentiel. En quelque sorte, le talent c’est quelque chose qui permet de faire face à ce qui n’est pas donné par le travail prescrit et qui permet de dépasser les obstacles du quotidien. Le talent c’est quelqu’un qui prend appui sur eux comme autant d’occasions d’inventer et d’emmener les autres – son équipe, son entreprise… –, beaucoup plus loin. Pour moi, le talent possède un effet d’entrainement qui implique un certain niveau de générosité et de partage puisqu’il inclut nécessairement les autres. Sans quoi, ce n’est pas du talent mais de l’égo. Le Talent à quelque chose de collectif et d’impliquant avec les autres, dans ce qu’il apporte. Le talent n’est pas exclusif ou solitaire comme peut l’être un génie.
La figure la plus proche de ce que j’appelle le talent serait l’ingéniosité. L’ingéniosité se mobilise face aux situations inédites, à l’imprévu, face aux situations mouvantes et changeantes. L’ingéniosité me semble correspondre à ce qui se joue dans le corps à corps du talent avec les contraintes de la tâche ou de l’activité qu’il réalise. Ce quelque chose qui privilégie l’habileté au passage en force, pleine de créativité et d’inventivité. Et en même temps, pleine de discrétion, puisque difficile à observer, puisque le talent lui-même, ne reconnait pas toujours consciemment qu’il fait preuve de talent, d’ingéniosité. Les ergonomes décriraient peut être mieux que moi, ce que j’essaie d’exprimer par écrit.
Pour terminer, parce que tous les talents ne sont pas visibles – ils ou elles n’en ont pas toujours conscience -, leur détection est un enjeu majeur pour les entreprises pour les fidéliser, et à ce titre les démarches de type bilans de compétences, assessment center de développement, VAE sont autant de moyens pour cerner ces talents.
Dans tous les cas, il me semble opportun d’inscrire la détection des talents dans une démarche ouverte, décloisonnée du seul couple Manager-RH, pour l’appréhender sous différents angles, davantage ancrés dans le quotidien. De ce point de vue, l’impact du 2.0 en favorisant la transversalité, en suscitant la participation et en tissant de nouvelles relations au sein de nos organisations participent de cette transformation.
Cite-nous une personne publique que tu considères comme un talent, et pourquoi ?
Dans la continuité de ta question précédente, Alexandre, je pourrais citer un personnage public ou une profession, le talent d’un chasseur, d’un navigateur ou d’un médecin. Mais je n’en ferai rien. Je pense à des personnes plus proches de moi, à nos collaborateurs, qui naviguent sur les flots des médias sociaux, qui exercent leurs métiers, celui de consultant en ressources humaines, de chargé d’études ou d’animateur de communautés. Ils avancent et développent leur expertises, au service de nos clients, partagent leurs veilles, leurs réussites, leurs interrogations. Ils avancent à tâtons, comme nous tous, et moi le premier, mais ils sont toujours disponibles et prêts à échanger, et à coup sûr, ils participent du développement de notre marque employeur. Fabrice, Nicolas, Laurence, Pierre, Cécile, Thomas, Hélène, François, Christine, Bertrand, Corinne, Benoit et Viviane, je ne sais pas s’ils sont des talents, mais à coup sûr, ils font preuve de beaucoup d’ingéniosités 🙂
Pourquoi parle-t-on tant de talent aujourd’hui ?
Les femmes et les hommes de l’entreprise constituent la ressource la plus importante et la plus stratégique pour une organisation. Il est devenu essentiel que les entreprises repensent leurs processus opérationnels de façon à répondre à leurs attentes. La gestion des compétences laisse la place selon des rythmes très différents au management des talents. Parallèlement, on assiste à une plus grande porosité des frontières de l’entreprise, le risque qu’elle voit partir ses meilleurs éléments contribue à faire évoluer la relation Entreprise – Collaborateur autant que l’entreprise prend pleinement conscience de l’avantage concurrentiel majeur que constitue son capital humain.
Penses-tu qu’il existe une approche plus européenne/française qu’anglo-saxonne du talent ?
Assurément, l’approche anglo-saxonne du talent se veut davantage orientée business, « top performers », « top talents », dont les métriques de la réussite et leurs impacts directs sur le chiffre d’affaires, impulsent la course à la rétention et au recrutement des talents sur le marché. Le modèle européen de la gestion des talents place le développement des collaborateurs au cœur de la stratégie RH de l’entreprise. Il recherche davantage l’équilibre entre performance de l’entreprise et planification des emplois et des compétences. Sa conception est plus humaniste dans son essence tout en ayant une approche économique solide. Dans tous les cas, tout est affaire de culture d’entreprises et d’enjeux économiques. Chaque entreprise développe sa culture interne, elles sont à appréhender de manière singulière, à mon sens méfions-nous des généralités.
Les 3 priorités du management des talents
- Implémenter une stratégie qui place le collaborateur au centre d’une offre RH claire et différentiante pour fidéliser et motiver les meilleurs talents mais aussi savoir la rendre visible et la communiquer.
- Développer une culture du feedback : privilégier les itérations par « va et viens » successifs aux planifications rigides, valoriser les individus et leurs interactions plutôt que les processus ou les outils en mode top down.
- Transformer les SIRH pour répondre au double défi de leur participation à la construction d’une vision stratégique et prédictive des RH et à la manière dont la DRH délivre des services aux managers et aux collaborateurs au travers des démarches 2.0.
Comment repère-t-on un talent quand on le croise ?
En le croisant une seule fois, à moins d’être particulièrement alerte, il me semble difficile d’y répondre. Le repérage des talents n’est pas si simple. Un talent se détecte sur la durée, il est le fruit de feedbacks pouvant impliquer plusieurs interlocuteurs, il donne à voir et à partager, ce qu’il apporte à son entourage au travers de son activité, et quelque part je reprendrai à mon compte l’expression de Bertrand Duperrin (bouillon de talent #4) « Quand on croise un talent on a envie de travailler avec lui. ». Il y a une polarité très positive, « contagieuse » presque au contact du talent, il suscite un emballement, une résonance émotionnelle, quelque chose de très chaleureux et de communicatif.
Quels sont les 3 impairs à ne pas commettre avec un talent ?
- Ne pas commencer par avoir confiance dans votre relation avec un talent, sans confiance, il est vain de vouloir prétendre construire quoi que ce soit avec qui que ce soit.
- Ne pas jouer la transparence dans sa communication, ne pas lui donner d’épaisseur ni incarner les valeurs et la culture de votre entreprise. Le seul lien qui vous permet de créer une différence positive et de créer de l’engagement. Les collaborateurs peuvent souvent s’exprimer avec bon sens et sentir le respect, dans vos encouragements et la disponibilité que vous pouvez leur apporter.
- Ne pas investir dans le dialogue avec les managers de proximité pour les amener à prendre position pour développer les talents. Ne pas rester dans des discours éloignés des réalités du terrain, connaitre ce qui se passe dans son entreprise, passe par adopter le parti pris de la proximité.
Et bien entendu, ne pas prendre de décisions qui ont un vrai impact pour lui (carrières, formation, programme de développement, mobilité interne, mobilisation sur des projets).
As-tu du talent ou es-tu un talent ?
Ce n’est pas à moi de le dire, c’est d’ailleurs une question où il est très difficile d’y répondre pour soi même pour les raisons évoquées en Question 2 (Pour toi, qu’est-ce que le talent ?).
Quelles sont d’après toi les futures tendances de la gestion des talents ?
Accélérer les processus RH et devenir un véritable portail de services pour permettre aux acteurs de la fonction RH de répondre mieux aux attentes des collaborateurs dans une logique d’interaction continue sur l’ensemble de son périmètre métier.
Créer de la valeur pour les utilisateurs, d’autant plus, avec le passage 2.0 dans les organisations. Avec le développement du web et des réseaux sociaux, la gestion des talents doit s’intéresser à l’ensemble de ces impacts sur l’ensemble des processus RH de l’entreprise : le recrutement interne et externe, l’intégration de collaborateurs – nouveaux entrants – ou en situation de mobilité interne, la formation, le management et le partage des connaissances… Le SIRH doit proposer des modalités opérationnelles qui s’intègrent parfaitement aux usages des collaborateurs, aussi simples que ceux utilisés par ces derniers dans leur vie personnelle (Smartphone, tablettes, medias sociaux).
Contribuer au décloisonnement et à une meilleure compréhension des besoins stratégiques de l’entreprise en devenant des outils efficaces d’analyse des ressources humaines. Mesurer et gérer les talents, optimiser et faciliter la collaboration des salariés. Quid de l’interopérabilité avec les autres applications qu’utilise l’entreprise ? Une condition nécessaire pour permettre au DRH de jouer pleinement son rôle de Business Partner.
Une opportunité de créer de la valeur économique et sociale pour ses collaborateurs, ainsi que pour l’ensemble de l’écosystème de l’entreprise. Il en est de même pour une marque employeur basée sur la confiance en l’engageant sur des interactions authentiques, de proximité, on et off line.