Olivier Indovino, Manager Ressources Humaines et Accompagnement du changement chez Kurt Salmon, m’a récemment posé la question suivante : « Pourquoi Teheiura a-t-il été sorti de Koh-Lanta ? ».
Cette question qui peut paraître triviale de prime abord – surtout pour moi qui n’ai jamais regardé Koh-Lanta – mais soulève en fait des questions très intéressantes en termes de gestion des talents. Notamment sur le fait de pouvoir être pénalisé par son talent, comme cela était évoqué dans le post intitulé Le complexe du guépard. Voici l’analyse d’Olivier à ce sujet :
« Dans l’épisode de Koh-Lanta de l’autre soir, les ex-rouges – plus divisés que jamais – ont décidé de sanctionner Teheiura, un (trop) redoutable adversaire ! Il a été éliminé avec 5 votes contre lui ! Je me pose des questions… Comment un aventurier qui disposait de la meilleure condition physique, des aptitudes à la survie (ouvreur de noix de coco ;-), de la cohésion sociale, peut-il être sorti à la surprise générale ? Y avait-il des signes précurseurs ? Qu’aurait-il du faire pour être meilleur ? Manifestement il y a un décalage entre ses talents et les aptitudes qui permettent aux autres de continuer l’aventure… mais je ne m’explique pas où est l’écart : talents, opportunité, circonstances, …? Est-ce que cela veut dire que même les meilleurs talents ne sont pas une garantie de succès où que l’aventurier n’a pas développé les bons talents ? Dans le dernier cas, cela voudrait-il dire qu’il y a des talents explicites (survie, athlète, …) et des talents implicites (alliance, stratégie, …) ? ».
Sans avoir regardé cette émission mais en m’appuyant sur l’analyse d’Olivier, voici ce que cela m’inspire :
Talent performant ou talent politique
Je ne connais pas les règles précises du vote de Koh-Lanta, mais il me semble que pour cette émission comme pour toutes celles où les candidats décident du sort des autres candidats (Star Academy, Top chef dans certaines épreuves, …), les clés de la victoire n’appartiennent pas forcément au meilleur ! Simplement parce que les candidats sont à la fois amis et adversaires ! Traverser des épreuves ensemble permet aux candidats de développer rapidement des liens d’amitié assez forts. Mais à chaque fois que l’émission replace les candidats en position de concurrents ou d’adversaires, l’appel de la victoire prime souvent sur ces relations d’amitié fraichement tissées.
Pour gagner dans des émissions plaçant les candidats en situation de jury, être le plus talentueux dans le domaine concerné par l’émission (la survie, le chant, la cuisine, …) est presque un désavantage puisqu’on devient en quelque sort « la personne à éliminer« , l’obstacle numéro 1 à la victoire ! Ceux qui vont au bout sont ceux qui sont suffisamment bons pour passer des épreuves mais pas trop pour ne pas inquiéter tout le monde…. Les émissions où les jurés ne sont pas les candidats permettent à mon avis d’avoir un niveau de jeu plus élevé puisque les jurés cherchent à identifier le meilleur, sans que cette recherche ne soit entachée de considérations strictement personnelles et égoïstes.
En surfant un peu sur le Web, on voit d’ailleurs que les fans de l’émission sont très mécontents de l’élimination de Teheiura car ils la trouvent injuste, et ils ont finalement peur que cela nuise à la qualité du spectacle.
On rencontre malheureusement des situations similaires en entreprise…. Bien souvent, ce sont les managers qui soumettent au RH avant les revues de personnel la liste des collaborateurs à suivre, à promouvoir. Quand un manager a le sentiment que l’un de ses collaborateurs pourrait lui faire de l’ombre (voir lui « piquer » sa place) parce qu’il est particulièrement compétent, il peut avoir tendance à omettre de mentionner la personne aux RH. Quand ce même collaborateur talentueux souhaite être mis en mobilité, le fait qu’il contribue fortement a la performance de l’équipe peut lui nuire car son manager pourrait être tenté de le retenir, pensant d’abord aux objectifs de l’équipe plutôt qu’à l’évolution de la personne.
De façon un peu plus abstraite, on sait tous que certains environnements valorisent les meilleurs, et d’autres ceux qui savent le mieux naviguer dans les arcanes du pouvoir…. C’est d’ailleurs le distinguo populaire qui est fait entre performance et politique. Rares sont les individus qui sont à la fois performants et politiques. Il est donc important de bien cerner dans quel environnement on se trouve ou à quelle émission on participe.
La garantie de succès n’est jamais individuelle
Olivier soulève dans son analyse la question de la « garantie de succès » que peut procurer une personne très talentueuse. Si l’on observe l’univers des sports collectifs, on peut par exemple constater que Michael Jordan, malgré son phénoménal talent de basketteur, a mis quasiment 7 ans avant de gagner un titre. Dès son arrivée en NBA (la ligue américaine majeure de basket), il était déjà incroyablement talentueux mais il n’était pas suffisamment épaulé par ses équipiers. Il a gagné son titre quand il était entouré de Scottie Pippen et Horace Grant, deux joueurs talentueux mais surtout très complémentaires.
On ne peut gagner seul. Ce n’est pas un dogme mais cela est lié à la définition même du talent. Si l’on considère que le talent est la révélation d’une capacité exceptionnelle dans un domaine et un contexte donnés, c’est bien parce que les éléments constitutifs du contexte (l’organisation de l’entreprise, ses collaborateurs, ses clients, ses partenaires, sa géographie,…) ont une incidence déterminante ! Il y a des environnements dans lesquels on est porté parce que tout est fait pour permettre aux collaborateurs de déployer leurs ailes, et d’autres où c’est plutôt l’inverse….. Il y a des équipiers qui vous portent et d’autres qui vous mettent des bâtons dans les roues.
Alors pour répondre à la question d’Olivier, le fait qu’une personne ait des dispositions exceptionnelles dans un domaine donné ne devient une garantie de succès que si l’environnement permet à cette personne de les révéler ! En l’occurrence dans le cas de Koh-Lanta, l’environnement étant fait d’amis-adversaires, il est peu étonnant que le seul talent de Teheiura n’ait pas suffi à le faire gagner….
Un grand merci à Olivier pour avoir lancé ce sujet, et n’hésitez pas à apporter vos éclairages et commentaires ! 😉
Bonjour,
Pour ma part, je suis en partie d’accord avec le point 1. La question est pourquoi Téhéiura a t’il été sorti de Koh-Lanta? et la suite cachée de cette question est: Pourquoi est-ce que cela a choqué tous les spectateurs bisounours?
Je pense que la réponse se situe dans la façon de penser du « scénariste » de Koh-Lanta. Qu’est-ce que veut montrer cette émission? Que le meilleur être humain gagne? Non (personne ne regarderait), elle cherche dès la pose de ses règles à exacerber tous les défauts humains (ça par contre, ça intéresse).
Si on prenait exactement les mêmes personnes dont Téhéiura et qu’on les posait sur une île déserte en leur disant adieu, plutôt que: « la fin, c’est dans 3 semaines, et c’est avec 100000 euros pour le gagnant », je prends le pari que Téhéiura aurait été élu chef à l’unanimité vu ses talents et compétences de survie.
J’ai commencé en disant « en partie d’accord » car je ne suis pas convaincu par le parallèle avec le manager, hormis sur le point commun qu’est la perfidie dans les situations évoquées. En effet, je pense qu’on est ici dans un cas différent où ce n’est pas tout le peuple qui guillotine le monarque (Koh-Lanta) mais le monarque qui profite du pouvoir (que l’entreprise lui confère :)) pour tasser ceux du dessous qui tenteraient de monter l’échelle. C’est juste un manager qui abuse de son pouvoir, qui n’est certainement pas à la bonne place (parce que c’est pitoyable d’écraser quelqu’un juste parce qu’on le croit plus « fort ») et qui est finalement un mauvais manager. Car il ne sait pas profiter des talents de son équipe et de chaque membre qui la constitue.
Concernant le point 2, je suis encore plus en désaccord avec le parallèle qui est fait, mais là je relis un peu ce que j’ai écrit et je vois que je commence à écrire un bouquin donc je vais tenter de faire court.
Avec ses talents de survie, Téhéiura se suffisait seul pour survivre… seul.
Avec une équipe de personnes moins compétentes, il faut qu’il leur transmette son savoir pour qu’il ne le conduise pas à sa perte (il peut chasser pour 1, pas pour 20).
Avec des règles de vie qui cultivent les vices humains, évidemment, il n’a aucune chance dès lors qu’il rencontre quelqu’un de plus faible, donc qui a besoin d’être fourbe pour gagner le jeu.
Merci Julien pour ce commentaire très vivant !
Ta remarque sur les bisounours est intéressante, parce qu’elle montre toute l’ambivalence du public ! On sait bien qu’il s’agit d’une émission de télé-réalité sur TF1, on connaît les règles, mais on a finalement envie de les oublier pour mieux espérer que le « gentil » gagnera à la fin 🙂 N’est-ce pas le propre du cinéma et de la télévision ? Néanmoins, en regardant les commentaires sur le Web, ça semble avoir été une grosse surprise.
Pour ce qui est de l’analogie avec le manager, tu as raison : c’est le propre des mauvais managers, et des mauvais dirigeants en général, que d’avoir peur de s’entourer de personnes plus compétentes que soi dans un domaine donné ! Et à l’inverse, je pense que les gens qui réussissent dans la durée savent s’entourer de personnes qui les portent et qui n’ont de cesse que de les challenger, de faire monter le niveau ! Mais pour en revenir aux bisounours, il ne faut pas être naïf : la politique est bien présente dans un grand nombre d’entreprises, et le comportement de managers qui pensent avant à leur propre promotion avant celle de leurs équipiers existe bel et bien !
On en revient toujours à la question des « règles du jeu » et de la politique RH de l’entreprise : fait-elle la promotion des personnes engagées, motivées, performantes, qui n’ont de cesse que de faire progresser l’entreprise ? Ou fait-elle la promotion de ceux qui savent jouer avec les travers de cette même entreprise ? Ce qui est sûr, c’est que les sujets du bien-être et de l’épanouissement personnel sont davantage à l’ordre du jour dans le premier cas 😉
++
Bonjour, Alex.
J’apporterais un complément à ton analyse. Tehueiura a bien sur été évincé en raison de son talent qui représentait une menace dans le cadre de ce qui reste une compétition mais néanmoins on peut remarquer que d’autres compétiteurs très talentueux (comme claude) ne sont pas éliminés par leurs camarades de jeu.
Il me semble que pour rester intégré et accepté dans un groupe, quel qu’il soit il faut avant tout savoir jouer, tenir et rester fidèle à son rôle. Il est bien connu, en psycho qu’un groupe d’humain se structure systématiquement autour d’un leader, d’une hiérarchie et que spontanément certains acceptent le rôle de looser, de perdant.
C’est pourquoi Claude, leader, est protégé alors que Tehueiura resté en retrait dans le fonctionnement du groupe et sans rôle précis à été éliminé. De la même façon, Maude a été vivement critiquée par certains candidats car elle est sortie de son rôle de perdante désignée. Il lui a été reprochée de trahir son groupe alors qu’elle en était depuis le tout début la victime désignée et qu’elle n’a agit que pour sauver sa place.
Un talent peut donc s’exprimer pleinement si il se combine à la place de valorisation correspondante dans le groupe. On valorise un comportement de gagnant (même au détriment de certains membres du groupe) d’un individu reconnu dans sa place hiérarchique supérieure inconsciente là où on reprochera le même comportement et les mêmes ambitions chez un individu non reconnu comme leader. Tout est une question de savoir tenir tenir sa place, c’est un problème majeur selon moi de la société humaine. On le voit très bien en politique où des hommes se permettent toutes sortes de forfaits et de malversations que tout le monde leur pardonne finalement alors qu’on condamne beaucoup plus durement et durablement de petites manipulations ou malhonnêteté d’un anonyme.
Salut Marion.
Je ne peux pas rebondir sur les individus que tu cites car je ne les connais pas, mais je suis tout à fait d’accord avec ton analyse !
Je partage l’idée que l’on attend certaines choses de certaines personnes, et que l’on vit toujours mal l’écart entre leur comportement et ce que l’on attend d’eux, consciemment ou inconsciemment….
La notion de leadership est en effet capricieuse ! Deux individus qui se comportent de la même façon peuvent en effet essuyer des critiques totalement différentes. On pourra reprocher à un « leader naturel » de rester trop en retrait, et à un expert de se mettre trop en avant….
Une question se pose : sommes-nous toujours capables de percevoir cela pour soi-même ? De comprendre ce que les autres attendent de nous ? Et quand il y a une différence entre ce que l’on a envie de faire et ce que les autres attendent de nous, que sommes-nous censés faire ?
Bref, on a encore de belles discussions devant nous ! 🙂
Merci encore Marion et à bientôt.
Alex