Le talent de se désoccuper !

Durant mes vacances au Brésil, je suis resté une semaine sans connexion à l’Internet : plus d’emails, plus de Facebook, plus de Twitter, plus de tchat, rien. Le premier jour, je me suis surpris plusieurs fois a vérifier la présence d’un wifi, comme si le propriétaire des lieux avait subitement planifié une intervention en sachant que j’étais sur les lieux…

Cela était d’autant plus stupide que j’étais dans un écolodge où l’eau était rationnée et où les chevaux faisaient office de vélo. Et puis le deuxième jour, on se surprend à saisir machinalement le téléphone avant de le reposer immédiatement, sachant que l’on n’en ferait pas grand-chose. Et un monde inconnu s’ouvre alors à nous… un monde sans notification, sans info, sans post, sans toutes ces perturbations qui nous distraient au quotidien.

Ces quelques jours nous ont permis, à moi et aux quelques personnes avec lesquelles j’étais, de prendre conscience du curieux comportement que nous avons développé en quelques années. La démocratisation de la 3G et des smartphones, combinée à la démultiplication de médias sociaux, nous a permis d’être connectés quasiment tout le temps, de partout. Et cette évolution technologique s’est accompagnée d’une promesse : celle qu’il se passe toujours quelque chose !

Pour peu que l’on ait une vingtaine d’amis sur Facebook, que l’on suive une quinzaine de personnes sur Twitter, Instagram, Foursquare, et que l’on fasse partie de cinq communautés Google+, nous sommes assurés de « découvrir » une info, un article, un lien, une photo, …, en allumant le smartphone. Au point d’en avoir développé un réflexe compulsif consistant à le regarder toutes les 15 secondes… ou plus exactement dès qu’il ne se passe rien autour de nous.

J’exagère ? Si vous pensez que oui, faites donc ce petit test :

  • Pouvez-vous rester en réunion dans tripoter votre smartphone ou accéder à vos mails ou au web depuis votre ordinateur ? Ah oui, le sujet ne vous concerne pas directement…
  • Pouvez-vous rester devant votre TV sans toucher à votre smartphone ou votre tablette tactile ? Ah oui, il n’y a rien d’intéressant à la TV…
  • Pouvez-vous rester en voiture sans toucher à votre smartphone ? Ah oui, vous êtes dans un embouteillage…
  • Pouvez-vous dîner avec des amis sans toucher à votre smartphone de la soirée ? Ah oui, c’est pour répondre à une question qui est posée…
  • Pouvez-vous attendre patiemment dans la file de votre supérette sans jouer avec votre smartphone ? Ah oui, il y a du monde devant vous…
  • Et d’où naviguent 25% des utilisateurs de tablettes tactiles ? Gagné, des toilettes

En fait, nous n’acceptons plus qu’il ne passe rien ! Parce que grâce à Internet, il se passe toujours quelque chose…. Ce phénomène trouve probablement son origine avec l’avènement de la télécommande, qui nous a permis de zapper d’une chaîne à l’autre sitôt que notre intérêt pour le programme regardé commençait à baisser.

Avec la télécommande s’est aussi accrue notre peur de rater quelque chose sur la chaîne d’à côté, si bien que l’on a appris à regarder trois émissions en même temps… et donc à n’en regarder aucune vraiment. A moins comme me rétorqueront certains que nous ayons développé des facultés cognitives nouvelles qui nous permettent d’absorber l’information différemment. Mais ces quelques assertions nécessiteraient à elles seules deux thèses de doctorat, une en sociologie et une en neurosciences, pour y voir plus clair.

Depuis quelques années, la surcharge d’emails et leur piètre gestion ont fait émergé le phénomène appelé infobésité. Nul doute que le Blackberry et sa petite diode rouge ont – en leur temps – contribué à ce phénomène.

Mais ce dont je parle ici est encore différent. Le problème n’est plus tant que l’on soit sans cesse dérangé par un afflux massif d’informations en tous genres, le problème est que nous y avons pris goût et que cela a influencé notre comportement. Du coup, nous n’acceptons plus ces moments d’inactivité, de désoccupation, où il n’y a rien de spécial à faire, où le temps s’écoule lentement. L’ennui n’est plus une option ! Notre comportement est bien sûr très ambivalent puisque dans le même temps, nous nous plaignons tous de ce fil à la patte que constituent les smartphones, et du fait que l’on n’est plus jamais tranquille.

Les impacts de ce comportement sont nombreux :

  • À notre poste de travail, cela nuit considérablement à notre productivité puisque nous sommes sans cesse distraits
  • Au travail en général, nous avons développé un rapport au temps très particulier. Sitôt que l’on maîtrise un tant soit peu un sujet ou une activité, il nous faut nous attaquer à un nouveau challenge, de peur de nous ennuyer
  • En réunion, il devient quasiment impossible d’avoir l’attention de tous les participants en même temps, chacun écoutant quand il se sent concerné (ce qui est très subjectif). La dynamique des réunions devient de fait très particulière, cela ressemblant souvent davantage à une bataille navale géante qu’à une session de travail
  • Et dans la vie de tous les jours, nous avons tendance à nous couper des autres en étant davantage concentré sur l’objet se trouvant entre nos mains que par les gens qui nous entourent…. Où comment être en relation virtuelle peut empêcher d’être en relation dans le réel.

Alors bien sûr, je me fais l’avocat du diable, étant l’un des premiers à reconnaître les 1001 vertus des technologies nomades, des médias sociaux et de l’Internet en général. Et un info-addict de première catégorie. Mais je pense qu’il qu’il est temps de trouver un équilibre dans le rapport que nous entretenons avec les technologies de l’information et de la communication au quotidien. Il faut réapprendre à se désoccuper. Et ce finalement pour réapprendre à mieux distinguer l’important de ce qui ne l’est pas, dans un souci combiné d’efficacité et de bien-être. Et probablement, comme le dit Sylvaine Pascual, désencombrer nos têtes par la même occasion. Qu’en pensez-vous ? 😉