J’ai eu la chance d’assister à un grand nombre de conférences, de workshops et d’échanger à droite à gauche avec des éditeurs, consultants, analystes lors du dernier HR Tech Europe qui se tenait à Amsterdam les 24 et 25 octobre. Le buzzword du salon revient sans conteste à « Datafication« . Josh Bersin a animé une conférence sur le sujet que je résumerais ainsi en le citant : « While the marketing function has been applying data science for decades, HR is just beginning. And it’s about time ».
Son premier slide présentait la couverture de l’ouvrage de Frederick Taylor : The principles of scientific management, prônant (en étant certes un peu schématique) la division du travail en deux : ceux qui le pensent et ceux qui l’exécutent. L’idée ici n’est pas de revenir à cette dichotomie du travail mais d’expliquer que les RH doivent aborder leurs processus tels des ingénieurs, comme l’ont fait de nombreuses autres directions avant elle, et s’appuyer sur la multitude d’indicateurs à disposition pour prendre ses décisions. On en revient au fameux « Big data », appliqué ici à la RH.
J’avais presque du mal à croire que l’on puisse remettre Taylor à l’honneur… tant il me semble que l’extraordinaire avènement des médias sociaux a conduit à un changement de paradigme majeur, prônant l’autonomie et la prise de responsabilité de tout un chacun, l’horizontalisation des organisations, la remise en cause des notions de pouvoir et d’autorité, etc. Changement de paradigme qui va à l’exact encontre des travaux de Taylor ayant influencé le fonctionnement de l’entreprise pendant presque 100 ans.
Alors bien sûr, datafication et médias sociaux sont liés puisque la multitude d’informations à disposition vient notamment des médias sociaux : profils en ligne sur LinkedIn, Facebook et autres réseaux sociaux, billets sur des blogs, fil d’actualité Twitter, etc. Bien sûr que toutes ces informations peuvent avoir de la valeur pour peu qu’on sache séparer le « bon grain de l’ivraie »… Mais cela constitue-t-il réellement l’enjeu premier auquel les RH doivent faire face ? Et quand bien même, qu’est-ce que cela induit ? N’est-ce pas une approche prônée par de grands éditeurs tels qu’IBM ou Workday pour vendre leurs solutions ? Quant au sempiternel enjeu de savoir deviner quels sont les collaborateurs présentant le plus fort risque de départ ou les top performers, Oracle en parlait déjà il y a 20 ans. Est-on toujours en quête de l’algorithme ou de l’indicateur miracle ?
Il me semble que le salut est plutôt à chercher du côté des conférences (notamment celle de Euan Semple ou Costas Markides) qui traitaient du Social, abordé sous l’angle de la collaboration en entreprise et des valeurs telles que l’engagement ou la confiance sur lesquelles elle repose. Les enjeux clés deviennent alors :
- Comment passer de la notion de contrôle à celle d’influence ?
- L’utilisation ou non des technologies sociales en entreprise est-elle encore une véritable question, quand tout le monde les utilise déjà dans sa sphère personnelle ?
- Comment distinguer les signaux pertinents dans tout ce « bruit » généré sur les médias sociaux ? L’intelligence collective ne vaut-elle pas tous les algorithmes du monde ?
- Comment amène-t-on l’entreprise à changer son organisation ? Probablement en s’appuyant sur les quelques personnes, influenceurs, qui veulent « changer le monde ».
Il me semble que prendre toutes ces questions à bras le corps constitue le véritable enjeu des RH… non ?
En fait, ce salon confirme une seule chose : nous passons bien notre vie à redécouvrir d’anciens problèmes à la lueur des nouvelles technologies. Ce salon marque selon moi le grand retour aux management par les valeurs autour desquelles doit s’organiser la collaboration, indispensable levier de performance et de compétitivité de l’entreprise. Dans ce cadre, le Social doit être mis à disposition de la RH, elle-même au service du business. Comment tirer profit de l’environnement technologique actuel (ultra–connected, cross-platform, multi-devices, …) reste une bonne question, comme elle l’est toujours. Mais ça n’est pas celle autour de laquelle doivent s’articuler les démarches de talent management !
Je trouve la référence à Taylor très pertinente. En matière de collaboratif, la plupart des organisations en sont toujours au stade de l’artisanat, et on attend encore les nouvelles méthodes organisationnelles et managériales qui permettront de décupler les performances des knowledge workers. Si les recettes anciennes (division du travail, chaînes de production…) ne sont plus pertinentes, le mouvement engagé n’en reste pas moins celui d’une nouvelle rationalisation, assise sur la maîtrise de données « humaines » sans cesse plus riches et interconnectées. Les prochaines années seront passionnantes 🙂
Salut Damien.
Tu as raison sur le fait qu’il faut rationaliser la gouvernance des entreprises pour qu’elles soient « social compliant ». Mais je crains que Taylor était davantage cité ici pour évoquer le fait que les RH devaient rationaliser leur approche et piloter les ressources humaines (et dans ce cas l’humain est bien appréhendé comme une ressource) à partir de KPI et autres indicateurs tangibles.
A titre perso, je vois moins les RH évoluer dans cette perspective très industrielle que comme les personnes qui doivent amorcer la mutation en entreprise qui permettra de donner toute la latitude dont les collaborateurs ont aujourd’hui besoin (dans le respect de la stratégie de l’entreprise bien sûr). Pourquoi continuer de leur demander d’adopter des us-et-coutumes et un fonctionnement qui ne leur correspond plus, tout en souhaitant qu’ils soient les plus efficaces possibles ? Et en donnant un peu les clés aux collaborateurs, on est bien à l’inverse d’un Bureau des méthodes puisque la matière grise est décentralisée.
Je crois que tout cela méritera de nombreux autres billets 🙂 On s’en écrit un ensemble ?
++
La datification on connait déjà : ça s’appelle Moneyball http://www.duperrin.com/2013/05/28/rh-analytics-bigdata-moneyball/
Salut Bertrand. J’avais également fait un post sur ce film, je crois qu’on était obligé en fait ! 🙂
Mais j’étais passé a côté du tien.
Merci !
ok on s’en reparle 😉