Avez-vous entendu parler de l’excellente série Ted Lasso, disponible sur Apple TV ? En pleine explosion de séries de science-fiction (Foundation, Raised by wolves, Dr.Brain, etc.) nous parlant de lendemains possibles, souhaitables ou détestables, Ted Lasso fait figure d’OVNI. La série suit une direction radicalement opposée en revenant aux fondamentaux des relations humaines : le partage, la générosité, la solidarité. Si les cyniques de tous crins la trouveront sans aucun doute par trop candide, et donc sans intérêt, elle est en réalité beaucoup plus profonde et subversive qu’il n’y paraît, faisant la promotion de valeurs en apparence obsolète, à rebours des diktats de notre époque. Et traitant finalement des mutations profondes en train de s’opérer dans notre société et en entreprise, en particulier dans le management. Morceaux choisis.
L’optimisme, nouvelle valeur refuge
Ce qui marque en premier lieu chez Ted Lasso, coach américain de NFL fraichement débarqué en Angleterre pour coacher une équipe de football (autrement appelé soccer), c’est son incroyable optimisme ! Optimisme déployé à un niveau tel que la plupart du temps, on se dit que l’on a affaire à un benêt façon Forest Gump plutôt qu’à un manager de génie. On comprend finalement rapidement que l’optimisme n’est pas une qualité mais une pratique consistant à focaliser son attention sur ce que l’on souhaite obtenir, ce que l’on espère.
Plutôt que de se dire qu’il ne connaît rien au foot, que son équipe n’a aucune chance, qu’il est la risée de tous, Ted Lasso préfère focaliser son attention sur autre chose. Se dire qu’il a tout à apprendre de ce sport plein de surprises. Que son équipe ne peut que progresser, tout comme l’opinion que les gens ont de lui. L’un des totems de l’équipe est cet écriteau qu’il accroche au-dessus de la porte de son bureau le 1er jour : « Believe« . A l’instar de tous ces livres et conférences, et de ces millions de post instagram prêchant les vertus de la pensée positive, Ted Lasso ne cesse jamais de croire en ses rêves. Tarte à la crème me direz-vous ? Que nenni.
Comme l’explique Philippe Gabillet et tant d’autres avant et après lui, la pensée positive est un choix. Ou plus exactement, une discipline consistant à choisir parmi les millions de signaux qui se présentent à nous chaque seconde ceux qui sont en résonance avec nos rêves, souhaits et autres aspirations. Et ce afin de favoriser leur « émergence ». Ce que la série illustre parfaitement (nous évitant par là même de nous plonger dans les neurosciences ou la physique quantique traitant abondamment de ce sujet). Cet optimisme lui permet d’ailleurs de compenser son absence d’expertise, valeur largement dépréciée par la série.
L’expertise, valeur surcotée
L’un des coups de génie de la série est de montrer comment un manager qui ne connaît rien à un domaine peut quand même y exceller. Cela allant complètement à l’encontre de ces décennies prônant l’idée que les managers puisaient leur autorité dans leur domaine d’expertise. Comme si le fait d’être capable de répondre à toutes les questions de ses collaborateurs était l’alpha et l’oméga du management.
Si cela peut s’avérer pertinent dans certains domaines d’activité ou métiers très spécifiques (comme le nucléaire ou la data science), la tendance est plutôt aux soft skills qu’aux managers omniscients. Jusqu’à tard dans la saison 2, on constate d’ailleurs à quel point les règles du football demeurent incompréhensibles pour Ted Lasso. Pourtant, il s’avère être un excellent manager. Pourquoi ? Simplement parce que lorsqu’il ignore quelque chose, il se contente de demander de l’aide à ses assistants, voire aux joueurs eux-mêmes, compensant son manque d’expertise par son humilité, son honnêteté, sa vulnérabilité. Cela paraît si simple… et reste pourtant si compliqué en entreprise.
Si la crise du Covid a eu un bienfait, c’est bien celui d’avoir légitimé cette phrase auparavant impossible à prononcer : « je ne sais pas ». En effet, en plein mois de mars 2020, avouer que l’on n’était pas en mesure de répondre aux questions qui se posaient était tout sauf une honte. C’était quasiment normal, compte-tenu du caractère exceptionnel de la situation vécue. Ce qui était véritablement attendu des managers était ailleurs, et résidait dans leur capacité à permettre au collectif de continuer d’avancer dans le doute et l’incertitude. En s’appuyant notamment sur l’expertise et les compétences des uns et des autres, sans prétendre aucunement les détenir. Et c’est exactement là que réside le génie de Ted Lasso
L’alchimie, nouvel eldorado
Si la série se démarque des lapalissades et lieux communs actuels concernant l’importance du collectif, c’est par sa capacité à montrer différentes formes de collectif et leurs vertus : collectif de joueurs de football bien sûr ; mais collectif de dirigeants également, ce qui est moins fréquent. C’est ainsi que l’on voit l’équipe de coach menée par Ted Lasso, appelée « la meute », s’adonner à un rituel quotidien aussi gênant que fédérateur. Peu importe le prétexte pour peu qu’il permette aux membres d’une équipe de se retrouver, de converser, de partager et surtout, de se livrer sincèrement, sans peur du jugement d’autrui. En d’autres mots, de créer un lien assez solide pour survivre aux épreuves que le quotidien ne manque jamais d’apporter.
La série montre clairement que la force d’une équipe réside dans sa diversité, ce qu’il est bon de rappeler à l’heure où la thèse du grand remplacement envahit nos écrans. Cette diversité s’exprime de bien des manières :
- Joueurs expérimentés versus rookies, les uns amenant expérience et recul, les autres fougue et énergie
- Joueurs de différents pays combinant différentes cultures, us-et-coutumes, vécus, facilitant l’émergence de solutions à chaque problème posé. Ce qui s’illustre magnifiquement dans le dernier épisode de la saison 1 où chacun partage ses « tours de passe-passe » (cf. illustration à droite)
- Joueurs aux compétences complémentaires, permettant à l’instar de tous ces films de bandes, tels Le Seigneur des anneaux ou Avengers, de disposer d’un leadership tournant selon les situations auxquelles l’équipe est confrontée
Le manager d’aujourd’hui, à l’instar de Ted Lasso, est celui qui sait composer avec toutes ces individualités et leurs différences pour les fondre harmonieusement dans un unique collectif, un collectif unique. Comment ? En étant gentil, tout simplement.
Kindness is the new sexy
Ted Lasso est gentil. Bien sûr, on pourrait dire de lui qu’il est bienveillant, mais le terme de bienveillance est actuellement tellement galvaudé qu’il vaut mieux utiliser un terme connexe. Quitte à ce que celui-ci ait une connotation quelque peu péjorative tant le monde est devenu cynique. En l’occurence, la gentillesse de Ted Lasso est une arme, ou plus exactement un moyen de désarmer quiconque veut en découdre. C’est ainsi qu’il arrive à bout de toutes les querelles et des personnes les plus coriaces. Tel un maître d’aïkido, les attaques à son endroit se retournent toujours contre ceux qui les portent.
Cela n’a rien de magique. La gentillesse de Ted Lasso n’est en fait que l’expression d’une véritable empathie, d’une capacité inouïe à écouter l’autre, le comprendre, et finalement l’aimer. C’est ainsi qu’il vient à bout de Roy Kent, de Jamie Tartt, et que sa gentillesse déteindra même largement sur ces deux gaillards. Si l’expression bien connue affirme que l’on rejoint une entreprise mais quitte un manager, l’inverse peut être tout aussi vrai. Combien de personnes au travail restent dans leur entreprise pour le lien qu’elles ont développé avec leur manager ? Et le plus souvent, ce lien va bien au-delà du simple respect professionnel. Quand ce lien est teinté d’affection, pour ne pas parler d’amour, il permet de surmonter les situations parfois difficiles du quotidien. Finalement, à bien des égards, cela s’apparente grandement à un couple….
Seulement voilà, la gentillesse en entreprise est-elle envisageable pour nous autres à qui l’on a appris à parer les coups et à en donner ? S’agit-il de tendre l’autre joue face à ce collègue désireux de s’approprier de notre travail ou ce manager accroc au harcèlement ? La simple évocation du mot gentillesse fait immédiatement résonner ceux de faiblesse ou de niaiserie. A cela, Ted Lasso montre épisode après épisode que la gentillesse permet finalement le plus souvent de passer au-dessus de toutes les mesquineries et autres formes d’adversité. Renvoyant, tel un sage indien, chacun à son karma.
Alors oui, au moment où je termine cet article faisant la promotion de l’optimisme et de la gentillesse, j’ai forcément l’impression d’avoir compilé un recueil d’inepties, tant cela va à rebours des croyances et pratiques en vigueur en entreprise. Mais à bien y réfléchir, n’est-ce pas la combinaison de ces différentes qualités trop souvent malmenées qui permet non seulement à Ted Lasso de se moquer du qu’en dira-t-on, jouissant ainsi d’une liberté exceptionnelle, mais aussi de voir le meilleur en chacun ? Devenant cet exceptionnel détecteur et révélateur de talents (Nate en sait quelque chose….) que tout manager ou recruteur rêverait d’être.
L’attitude de Ted Lasso, loin d’être niaise, s’apparente en réalité grandement à celle d’un punk ! Son attitude gentille et positive étant au climat actuel ce que l’attitude « destroy » des Sex Pistols et consorts était au climat positif de la fin des années 70-début des années 80. N’entend-on d’ailleurs pas dans le premier épisode de la première saison le « God saves the queen » des Sex Pistols et son célèbre « no future » ? Alors amis managers, si vous avez peur d’être niais ou faible en étant gentil et optimiste, oserez-vous la jouer comme Ted Lasso en démontrant les qualités d’un punk, allant à rebours de votre époque ? A vos commentaires.