J’étais invité hier par l’IGS FC Lyon à animer une table ronde sur le thème « Impact des réseaux sociaux sur l’organisation du travail » lors d’un speed-business meeting. Toutes les 20 minutes, une dizaine de RH arrivait à la table pour échanger sur ce thème (sachant qu’il y avait en tout 4 thèmes, dont un animé par Camille Travers et Laurent Brouat).
En moins de deux heures j’ai donc pu rencontrer une quarantaine de RH de la région Lyonnaise, venant aussi bien de TPE que de grandes entreprises, de l’industrie que du service. A la question d’ouverture « Pensez-vous que les réseaux sociaux puissent servir votre démarche de gestion des talents », j’ai eu des réactions assez diverses que je regrouperais – en schématisant un peu – en 3 grandes catégories :
Les sceptiques
Spontanément, lorsque je posais cette question en ouverture de la table ronde, une ou deux personnes souhaitaient clairement manifester le fait qu’elles ne voyaient même pas pourquoi je posais la question, tant elle était hors de propos ! Les remarques étaient :
- « Facebook n’a rien à voir avec le boulot« , puisque pour beaucoup, Faceboook incarne à lui tout seul l’ensemble des réseaux sociaux.
- « Les réseaux sociaux ne concernent que les cadres du secteur tertiaire« , considérant que les populations non-cadres, travaillant dans l’industrie, étant lion d’être connectées toute la journée, ne pouvaient être concernées par ce type de réflexion. En creusant un peu le sujet, ces personnes admettaient néanmoins que l’usage des réseaux sociaux ne se limitait pas au seule temps de travail, et que de nombreux employés étaient effectivement sur Facebook, voir sur un autre réseau social.
- « Les réseaux sociaux nuisent à la productivité plus qu’autre chose«
- « Les IRP ne le permettraient jamais« , ne distinguant de nouveau pas un usage abusif de Facebook d’un usage professionnel de LinkedIn. il est d’ailleurs amusant, lorsque l’on creuse un peu, de voir que l’usage de Facebook est pour ces personnes essentiellement assimilé à exposer des photos de soirée de personnes en fâcheuse posture.
- « Je n’arrive déjà pas à initier une démarche structurée de gestion des talents, alors les réseaux sociaux on verra ça plus tard« , témoignant d’un relatif désarroi face au peu de temps laissé au développement RH en regard du temps passé à administrer le personnel.
Pour ces quelques personnes, qui représentaient environ 20% de chaque table, elles n’avaient en réalité jamais eu le temps ou l’opportunité de vraiment se poser cette question.
Les curieux
Environ 40% des RH présents à chaque table avaient déjà tenté de répondre à la question du possible usage des réseaux sociaux pour leur gestion des talents. Ces premières réflexions mènent quasi systématiquement au processus de recrutement. Ces personnes assimilent – en schématisant une nouvelle fois encore un peu – les réseaux sociaux comme LinkedIn ou Viadéo à des « job-boards à la mode ». Certains m’ont d’ailleurs parlé de leur usage des job-boards quand je les ai interrogés sur les initiatives mises en place en matière de réseaux sociaux. En résumé, LinkedIn est le nouvel outil à la mode utilisé par les jeunes, il est donc intéressant de publier des offres d’emploi sur ce réseau.
Certains (mais très peu) avaient une page entreprise Viadéo, « pour voir ». Le sujet de l’intérêt des réseaux sociaux pour communiquer sur sa marque employeur a été évoqué quelques fois, mais la discussion se concluait systématiquement par un « il n’y a personne pour s’occuper de ça« …. Ces RH curieux des réseaux sociaux avaient très envie de savoir si l’on pouvait utiliser les réseaux sociaux pour un processus RH autre que le recrutement. Quand j’évoquais la possibilité de les utiliser à des fins d’identification des talents ou de social learning, les curieux basculaient soit dans la catégorie des sceptiques, soit dans celle des désemparés (face à la distance qui les sépare de ces perspectives).
Un DRH de l’industrie, travaillant essentiellement avec une population ouvrière, a néanmoins apporté un témoignage particulièrement pertinent. Il expliquait qu’un ouvrier avait une possibilité assez limitée de prendre des initiatives et de démontrer des compétences autres que celles requises par ses activités, souvent répétitives. Partant de là, il a encore plus envie de valoriser ses compétences, centres d’intérêts et autres aptitudes dans des activités extra-professionnelles. C’est ainsi que ce DRH avait découvert fortuitement grâce aux réseaux sociaux que l’un des ouvriers avec lequel il travaillait était président d’une association caritative, et déployait des compétences relationnelles, comptables, etc. Sans les réseaux sociaux, comment découvrir les talents d’un collaborateur qui n’a pas l’opportunité de les mobiliser dans le cadre professionnel ?
Les motivés désemparés
J’ai été assez touché par cette population RH, représentant environ 40% des personnes présentes à chaque table, qui était convaincu de l’intérêt des réseaux sociaux pour la gestion des talents (et pas seulement pour le recrutement), mais qui ne savaient pas comment s’y prendre. En général, les réflexions étaient les suivantes :
- « Comprendre comment marchent les différents réseaux sociaux existants prend trop de temps, cela nécessiterait que j’y passe des jours et des jours » ;
- « Je n’arrive pas à savoir quel réseau social est utile pour moi » ;
- « Je ne sais pas comme démarrer. »
On prend alors conscience des carences des formations et différents cursus RH proposés actuellement dans les écoles et universités. Les RH sont aujourd’hui formés à l’administration du personnel, mais le sont-ils au développement du capital humain ? Et je ne pose bien sûr pas la question concernant la sensibilisation aux nouvelles technologies, qui évoluent environ 100 fois plus vite que les programmes de formation….
La question des différences transgénérationnelles a également souvent été soulevée, la plupart croyant que les réseaux sociaux concernent les jeunes mais pas vraiment ceux qui entament leur seconde partie de carrière. Et pour ceux qui sont intéressés mais qui ne sont pas nés avec Internet, ils ne savent pas comment faire…. Deux axes de réflexion ont été évoqués :
- Le rôle du manager quant à l’adoption des réseaux sociaux au sein de l’entreprise, qui peut soit montrer l’exemple, soit inciter à s’y intéresser, soit évangéliser (si tant qu’il puisse le faire…)
- La possibilité de mettre en place des initiatives de reverse-mentoring, permettant à un « ancien » de partager son expérience avec un « jeune », et au jeune de former en retour l’ancien aux médias sociaux. Ce type d’initiative symbolise d’ailleurs parfaitement la collaboration qui doit sous-tendre le terme Social ou 2.0.
Alors bien entendu, les lecteurs scientifiques de ce blog argueront qu’il y a des milliers de RH en France, et qu’une quarantaine de RH rencontrés en l’espace de quelques minutes ne constitue en rien un échantillon représentatif. Ce type de rencontres et d’échanges permet néanmoins de prendre conscience du chemin qu’il reste à parcourir pour faire de la gestion des talents une problématique centrale de l’activité des RH, qui restent encore souvent « empêtrés » dans des problématiques administratives et réglementaires. Et ce malgré une réelle volonté de faire autre chose que de l’administratif (qui demeure néanmoins indispensable).
Quant à l’intérêt des réseaux sociaux pour la gestion des talents, il est pour certain un mythe et pour d’autres une énigme. Loin d’être décourageant, ce constat doit pousser les quelques acteurs convaincus de l’apport évident des réseaux sociaux pour les RH, et pour l’entreprise en général, à continuer d’échanger et de partager leurs convictions dès qu’ils en ont l’opportunité ! Une chose est sûre, il s’agit bien encore aujourd’hui d’horizons RH 😉