Comme chaque année, le TruSourcing a offert son lot de discussions et de belles rencontres. J’ai eu la chance de modérer une session autour du thème : « Passion-driven sourcing versus skills-driven sourcing ». En français : privilégiez vous la passion ou la compétence dans votre recherche de candidats ? Cette session était particulièrement intéressante car elle pose la question, souvent schématisée par une opposition entre la France et le monde anglo-saxon, de savoir s’il vaut mieux recruter quelqu’un parce qu’il a déjà fait ce qu’on va lui demander de faire ou qu’il a le potentiel de le faire.
Question qui renvoie elle-même à la profonde remise en question de l’Education Nationale et des modes d’apprentissage qui a lieu actuellement. A quoi doit-on préparer les enfants et étudiants ? Doit-on continuer de leur inculquer des connaissances pour les préparer au(x) métier(s) de leur(s) choix (si tant est qu’ils aient déjà fait un choix…) ou doit-on leur donner les moyens d’apprendre par eux-mêmes afin de s’adapter à un monde rendant toute connaissance rapidement obsolète ? Et de quelles connaissances parle-t-on ? Techniques, comportementales, relationnelles ?
Dans le domaine de l’informatique, ces questions ont trouvé des réponses intéressantes avec l’école 42. Dans cette école d’un nouveau genre, plus de professeurs pour apprendre quoi que ce soit aux élèves. Juste des projets distribués à des groupes de travail, un temps limité pour les réaliser, des imprévus de tous genres simulés (ordinateurs inopinément débranchés faisant perdre le travail de plus heures ou jours, etc.), un environnement de travail et des installations mises à disposition, et une grosse dose de « démerdez-vous par vous-mêmes ».
Si toutes les informations requises pour résoudre un problème sont aujourd’hui facilement disponibles, l’enjeu n’est plus de les acquérir dans des salles de cours mais d’apprendre à les trouver et à les utiliser correctement. Amusant d’ailleurs de noter que dans certains pays scandinaves, l’accès au Web est autorisé durant les examens puisqu’il le sera dans la « vraie vie » lorsque les élèves en auront besoin. Et comme dans la vraie vie, le travail collaboratif est plus qu’encouragé par 42, il est rendu indispensable ! Puisque plus personne ne peut résoudre seul les problèmes complexes auxquels il est confronté.
Etrange digression me direz-vous ? Que nenni ! Puisque la question sous-jacente à tout cela est de savoir quelles sont aujourd’hui les qualités requises pour réussir dans son travail. A ce titre, la question de la passion ou de la compétence génère des réflexions intéressantes. Morceaux choisis.
Passion rime avec motivation
On est tous d’accord, nous avons tous dans notre vie rencontrés des personnes qui ont très bien réussi dans leur travail sans être pour autant passionnés par ce qu’ils faisaient. Un recruteur, lorsqu’il évoque la passion, exprime la volonté de trouver chez un candidat un élément clé : la motivation.
On présume que quelqu’un « passionné » par le domaine d’activité afférent au poste à pourvoir va être très motivé. Et nul besoin de revenir sur l’importance de la motivation. En prenant un gros raccourci, nous dirons que c’est la motivation qui permet de « soulever des montagnes ». On comprend donc rapidement pour un employeur l’intérêt d’avoir des gens motivés.
En cela, la passion, une très forte motivation, une véritable envie d’y arriver, va permettre de franchir de nombreux obstacles, à commencer par celui de ne pas avoir toutes les compétences requises pour occuper un job. J’ai vu maintes et maintes fois des commerciaux ou développeurs informatiques devenir manager alors qu’il leur manquait clairement un grand nombre de compétences (relationnelles, techniques, …). Mais lorsque leur motivation est réelle, sincère, ils sollicitent autant de personnes que nécessaire, lisent beaucoup, se font former, échangent avec d’autres managers, et finissent pas développer de nouveaux atouts.
Passion rime avec valeur et comportement
Intéressant également de noter qu’un recruteur lorsqu’il cherche à déceler une passion ne vas pas forcément parler de passion pour le domaine d’activité concerné. J’ai par exemple recruté quelqu’un pour un poste de manager qui n’était pas passionné par le job lui-même et avait une passion annexe : le basket-ball.
Lorsqu’il me parlait de sa vision du jeu, de ce qui lui plaisait, du fait de faire briller les autres en leur passant la balle au bon moment pour qu’ils puissent marquer, du fait qu’il aimait aussi soutenir son équipe en prenant des risques individuels quand cela était nécessaire, du fait qu’il aimait l’esprit de camaraderie des vestiaires, etc., j’ai compris qu’il avait toutes les qualités requises pour devenir manager. Même s’il était jeune et ne l’avait jamais été de sa vie.
Un recruteur lorsqu’il parle de passion recherche en fait un certain type de valeurs et de comportements. Puisque l’on peut facilement imaginer, pour reprendre mon exemple, que quelqu’un présentant de telles qualités sur un terrain de basket ne va pas devenir un tyran sanguinaire au sein de l’entreprise. Oui, c’est bien d’imagination, d’extrapolation, dont il est question ici. Mais recruter c’est parier sur l’avenir, et il s’agit d’investiguer pour trouver des indices, des traces, des preuves.
La science de l’anecdote
Evidemment, lorsqu’on évoque des sujets aussi intangibles que la passion lors d’un entretien de recrutement, on a tous peur d’une chose : de se faire avoir ! Et si vous n’avez jamais eu peur de cela lors d’un entretien, rappelez-vous le nombre de fois où vous vous êtes fait avoir dans votre vie amoureuse lors d’une date. Ca vous revient, ce jeune homme ou cette jeune femme passionné(e) de cinéma lithuanien qui rêvait de réaliser un film de 3h12, et qui en fait était davantage passionné(e) à l’idée de se retrouver au lit avec vous ? Voilà.
J’ai reçu dans mon bureau tellement de gens passionnés par la RH ou l’industrie logicielle, pour qui mon entreprise incarnait plus qu’un rêve, un Graal. Mais qui n’étaient pas capables de me citer le nom d’un concurrent ou faisaient les gros yeux lorsque je leur demandais quelles applications mobiles ils aiment bien utiliser.
Comme le rappelait très pertinemment Mohamed Achabar, le recrutement c’est la science de l’anecdote. Si vous voulez vraiment savoir s’il y a du fond derrière ce qu’un candidat vous dit, demandez-lui de vous raconter des anecdotes au sujet de sa passion. S’il cherche plus de 10 secondes, passez votre chemin. Un passionné, voulant prosaïquement dire ici quelqu’un qui s’intéresse à ce qu’il fait, aura plein de choses à vous raconter s’il est sincère.
Comment déceler la passion sur un CV ?
Pour avoir la chance d’échanger avec un passionné, il faut déjà avoir l’opportunité de l’identifier. Hors je suis bien placé pour vous le dire, les ATS et autres applications de recrutement traquent les compétences, pas les passions ou passionnés. Alors comment détecter des passionnés dans la jungle des candidats, des CV, des job-boards ?
Un CV parle assez peu de passion, tout au plus de hobbie. En revanche, les médias sociaux beaucoup plus. Les blogs, les cover twitter ou facebook, instagram, les boards Pinterest, les contributions à des forums ou groupes de discussions sur Linkedin, sont autant de moyens de détecter des personnes passionnées.
Un passionné doit s’intéresser à son domaine de prédilection, et il est fort probable qu’il laisse des empreintes numériques. Si ce n’est absolument pas le cas, trois cas de figure : il est passionné par un monde sans ondes informatiques ; il est passionné par un domaine difficilement adressable via Internet ; il n’est pas finalement pas si passionné que ça.
Des techniques de recherche assez simples permettront à un professionnel du recrutement de facilement suivre ses traces s’il en a laissé.
La passion est-elle utile sur tous les jobs ?
Ne nous mentons pas, tous les jobs ne requièrent pas le même niveau de motivation. Je connais un certain nombre de personnes passionnées par les chiffres, mais je connais aussi un grand nombre de comptables (désolé s’il y en a qui me lisent c’est le premier job qui m’est venu 😃) qui se sont retrouvés là un peu par hasard. Ce qui ne les empêche pas forcément de bien bosser et de réussir.
Et je me garderais personnellement bien lors d’un entretien de recrutement pour un job d’agent de sécurité ou d’entretien de parler de passion. Parce que l’on sait qu’une grande frange de chercheurs d’emplois ne cherchent qu’à gagner leur vie, pas forcément à s’épanouir dans leur travail. On en revient à la fameuse pyramide de Maslow. Seuls ceux qui ont la chance de ne pas d’abord devoir assurer leur sécurité (et éventuellement celle de leur famille) peuvent avoir le luxe de se poser la question de celle de l’épanouissement.
Il convient d’aborder la question qui est posée sur ce billet avec précaution afin de ne pas faire de hors sujet, voir de blesser quelqu’un sans le vouloir.
Nous pourrions disserter encore très longuement sur ce sujet passionnant, mais je résumerais cette longue diatribe avec ces quelques mots : recrutez une personne, pas un profil ou un diagramme radar. Et le reste suivra 😉