Lors de récentes discussions avec Frédéric Domon, Bertrand Duperrin et plusieurs clients, une question est revenue de façon récurrente : à qui s’adresse le 2.0 au sein de l’entreprise ? Ce que l’on appelle le 2.0 s’adresse-t-il finalement à une minorité de personnes, c’est-à-dire aux personnes travaillant plutôt dans le tertiaire, étant plutôt « connecté », qui ont la liberté de prendre des décisions de façon autonome sans en référer toutes les 3 minutes à leur hiérarchie ? Ou le 2.0 s’adresse-t-il à tout le monde ?
Mais cette question en soulève immédiatement une autre : qu’entend-on par l’appellation 2.0 ? Il y a déjà 300 billets sur cette question, mais en substance, tout le monde s’accorde à dire que le terme 2.0 recouvre plutôt une dimension culturelle et une dimension organisationnelle qu’une dimension technologique. Comme le disent Béguin et Rabardel, l’outil ne devient véritablement utile que lorsqu’on le transforme en instrument. Or, si la culture et l’organisation de l’entreprise ne permettent pas de transformer les médias sociaux (RSE, blogs, …) en instrument de collaboration, à quoi peuvent bien servir ces technologies dites sociales ?
Frédéric Domon a dans un de ces billets évoqué le « gigot bitume ». C’est une tradition qui a – ou avait – cours sur les chantiers et qui permet à toutes les entreprises et tous les corps de métier de faire la fête ensemble. Cette tradition symbolise bien le fort besoin de collaboration et de coordination nécessaire sur un chantier puisque la moindre défaillance d’un collaborateur peut engendrer la blessure d’un autre ! Et Frédéric de me faire remarquer qu’en définitive, les personnes travaillant sur un chantier collaborent naturellement sans que l’on ait besoin de dépenser des milliers d’euros à implémenter un RSE. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement pour exécuter leurs tâches. Et on sait qu’un manque de collaboration peut engendrer beaucoup de retard et coûter des millions. Alors qu’à l’inverse, un cadre du tertiaire travaillant dans un bureau individuel doit parfois se convaincre de l’intérêt de collaborer avec autrui pour le faire. D’où les trésors d’ingéniosité déployés pour favoriser la collaboration et le partage.
Alors si l’on s’appuie sur l’illustration du gigot bithume, le 2.0 est loin de ne s’adresser qu’à quelques happy few du secteur tertiaire, mais peut s’appliquer au contraire à n’importe quelle organisation au sein de laquelle la collaboration est une nécessité et pas une option. Mais l’appellation 2.0 désigne ici une organisation naturellement collaborative, et pas les technologies sociales !
Dans une industrie délivrant des prestations intellectuelles, le 2.0 se réfère davantage aux technologies sociales qui permettent à chaque « travailleur du savoir » de répondre à ses missions en s’appuyant sur les compétences d’autrui. Puisque l’on ne peut pas tout savoir et que les environnements sont de plus en plus complexes, il est nécessaire d’identifier qui sait quoi et de pouvoir rapidement entrer en contact avec la personne, pour ne pas dire immédiatement. En cela, les technologies sociales telles que les médias sociaux peuvent largement aider. Mais le 2.0 se réfère clairement ici à la technologie, et pas à la culture ou l’organisation. Dans ce type de contexte, on a beau essayer de se convaincre que l’adage « knowledge is power » est dépassé, chacun essaye souvent de ne pas donner à autrui des éléments qui feraient décroître sa côte et grimper celle de l’autre, surtout s’il y a des éléments de rémunération à la clé. La collaboration n’est pas ici naturelle, elle est d’abord motivée par des intérêts individuels. Tout l’enjeu consiste alors à s’insérer dans une logique « gagnant-gagnant » qui permet aux processus collaboratifs d’exister. En l’occurrence, il est clair que l’implémentation d’un RSE n’opérera aucun miracle si l’organisation n’est pas du tout adaptée, mais il s’agit d’un véritable instrument de travail.
Et de façon plus générale, lorsque le 2.0 met en avant la notion de responsabilisation de chaque collaborateur et sa capacité à prendre des décisions de façon autonome, cela ne concerne qu’une minorité de collaborateurs : ceux qui s’insèrent dans une structure favorisant les initiatives individuelles, ayant des managers qui se reconnaissent dans cette approche participative, positionnés sur des emplois qui nécessitent de prendre des décisions, etc. Cela ne concerne assurément pas tout le monde…. Et là encore, les technologies sociales engendrent intrinsèquement assez peu de modifications sur l’écosystème.
Alors quand le 2.0 se réfère plutôt à la collaboration, il concerne bien tout le monde, dans un monde coupé en deux : ceux pour qui la collaboration est naturelle et ceux pour qui elle ne l’est pas. Pour les premiers, selon les secteurs d’activité, les technologies sociales peuvent accélérer des pratiques existantes. Pour les deuxièmes, faire évoluer la culture et l’organisation reste un enjeu bien plus prioritaire que de se doter de technologies sociales.
Quand le 2.0 se réfère à la responsabilisation des collaborateurs, ou à ce que d’autres appellent l’auto-portance, cela ne concerne une frange de la population active nettement plus réduite.
Plutôt que de terminer ce billet par une réponse, je terminerai par cette question : l’usage que l’on a des technologies sociales dans notre sphère privée fait-il évoluer nos mentalités et nous incite-t-il à être plus collaboratif dans notre travail ? A vos commentaires 😉