Comment manager un « surdoué » ?

J’ai vu ce matin un documentaire très intéressant sur Daniel Auteuil, questionnant pendant un peu moins d’une heure des réalisateurs et écrivains sur la façon dont l’intéressé (lui-même interviewé) abordait son métier et entrait dans la peau de ses personnages.

Il s’agissait en fait d’une véritable leçon de management de ceux que j’appelle dans mon dernier livre les « talents star ». Ce sont ces personnes douées, qui ont un don inné dans un domaine d’activité. Que ce soit Usain Bolt, Roger Federer, Michael Jackson ou Meryl Streep, on sent bien que ces personnes ont ce « petit quelque chose en plus » qui les distingue de leurs pairs.

Ils se distinguent en particulier de ceux que j’appelle les « talents marathoniens », qui sont toutes ces personnes qui peuvent arriver à développer de grandes aptitudes dans un domaine donné à force de travail. Pour elles, les aptitudes ne sont pas acquises à la naissance mais se développent avec le temps.

Daniel Auteuil apparaît dans le documentaire à la fois comme un surdoué (ce qui est plutôt amusant si l’on considère l’un des films qui l’a révélé) et un marathonien. D’un côté, il explique très peu travailler ses rôles, préférant se fier à son instinct. Quand on voit le résultat de ses prestations dans Jean de Florette, Un coeur en hiver ou l’Adversaire, on se dit qu’effectivement, il a bien un don. Les réalisateurs expliquent que la difficulté avec lui n’est pas de l’aider à entrer dans la peau de son personnage, mais plutôt de ne pas passer à côté de cet instant où la magie s’opère, où on le voit devenir son personnage et livrer son texte.

Ils expliquent que lorsqu’ils choisissent un acteur comme lui, ce n’est pas pour le contraindre à devenir un personnage qu’il n’est pas, mais plutôt pour révéler une facette de lui qui correspond parfaitement au personnage. Son don réside dans sa capacité à prendre des risques et explorer des aspects parfois encore inexplorés de sa personnalité.

De l’autre, il explique qu’il peut s’entrainer huit mois à l’épée ou à monter à cheval si le rôle l’exige. Il ne s’agit donc pas simplement d’un acteur qui se contente de tirer profit de ses facilités. Il est prêt à se remettre en cause et à affronter de nouveaux challenges.

Lorsque l’on écoute ces réalisateurs parler de la façon dont ils dirigent Daniel Auteuil, on ne peut s’empêcher de rapprocher cela de la difficulté de manager en entreprise des personnes douées dans leur domaine. Manager des incompétents n’est pas chose facile, mais manager des talents star ne l’est pas davantage. La difficulté pour le manager est d’être capable de pousser la personne dans ses retranchements afin de l’aider à aller toujours plus loin, sans la contraindre à emprunter les mêmes chemins balisés maintes fois parcourus par d’autres.

Cela demande beaucoup de réflexion, d’attention et de créativité de la part du manager. Manager une personne dotée d’un don est d’autant plus délicat qu’il est dur de témoigner beaucoup d’empathie envers quelqu’un que l’on comprend difficilement. Quand je lis un article de Tiger Woods expliquant qu’il doit retravailler son swing parce qu’il n’en est pas satisfait, je suis plus dans la circonspection que les encouragements…. Comment aider une personne aussi talentueuse à se dépasser ? Comment identifier ses obstacles, ses peurs, ses doutes ? Et une fois identifiés, comment l’aider à les surpasser ? Pourtant, nul doute qu’il n’est pas nécessaire de disposer du même don pour manager une « star »….

Pour finir, je paraphraserai Nicole Garcia qui, voyant Daniel Auteuil se diriger lui-même dans la fille du puisatier dit à peu près ceci : « Voir Daniel jouer sous sa propre direction rend modeste, car on comprend que l’on n’a finalement qu’à poser la caméra et le laisser faire pour voir la magie opérer« . Et s’il en était de même en entreprise ? S’il ne s’agissait pour un manager que de fixer les objectifs de la personne talentueuse et de s’assurer régulièrement qu’elle se trouve dans les meilleures conditions pour les réaliser (environnement de travail, motivation, …) ? Cela renverrait une nouvelle fois la notion de management command-and-control aux oubliettes, au profit d’un management plus en accompagnement et coordination. Mais cela peut-il s’appliquer à tous ? A vos commentaires 😉