A quel âge et comment découvre-t-on ses talents ?

De nombreuses réflexions me viennent à l’esprit en assistant au débat qui fait actuellement rage sur la réforme du collège. Il me semble, au-delà de toute considération politique, que les gouvernements se succèdent et tentent au travers de la valse des réformes de répondre aux questions suivantes :

  • Comment assurer une – utopique ? – égalité des chances entre élèves venus d’horizons sociaux-économiques différents ?
  • Comment s’occuper des élèves en difficulté sans retarder ceux qui présentent des facilités ?
  • Doit-on s’évertuer à doter les jeunes élèves d’une certaine culture générale ou au contraire à les amener au plus vite à se spécialiser dans une discipline dans laquelle ils pourraient s’épanouir et exceller (au risque de discriminer trop rapidement…) ?
  • Doit-on permettre au plus grand nombre d’accéder à des études secondaires et à devenir – a minima – Bac+5, sachant que la recherche du plus grand nombre risque d’occasionner un grand nombre de potentiels chômeurs (du fait de l’état du marché de l’emploi) ?
  • Etc.

Je ne suis pas ministre de l’Education et ne peut en rien prétendre avoir la solution magique. Néanmoins, lorsque je fais le parallèle avec la révélation des talents (puisque c’est finalement de cela dont il s’agit me semble-t-il) au sein de l’entreprise et à l’école, je me pose les questions qui suivent. Précisons avant d’aller plus loin que révéler les talents signifie ici détecter les capacités et le potentiel de chacun, quels qu’ils soient, et non d’identifier une élite qui se distinguerait du commun des mortels par des capacités exceptionnelles. 

Les professeurs ont-ils les moyens d’être des détecteurs de talents ?

A l’instar des managers de plus en plus amenés à accompagner les collaborateurs et à les développer plutôt qu’à les contrôler et les diriger, les professeurs ne sont-ils pas amenés à se transformer de plus en plus en détecteurs/développeurs de talents ? La première question qui se pose immédiatement est alors : n’est-ce pas déjà le rôle des professeurs ? 

Il me semble que leur rôle actuel est plutôt de transmettre des connaissances de façon top-down (ou descendante) face à des élèves chargés d’assimiler ces connaissances avant d’être « sanctionnés » par les fameux contrôles de connaissances. Et ce afin de franchir d’année en année les échelons qui permettront d’accéder à certaines fonctions professionnelles (toute ressemblance avec l’exercice des entretiens annuels ou revues d’objectifs est bien sûr totalement fictive… ;). C’est un peu différent de l’image que l’on peut se faire d’un accompagnateur/éclaireur chargé de déceler les capacités de chacun et les moyens à mettre en oeuvre pour les révéler.

Cette deuxième fonction s’apparente davantage à celle d’un coach que d’un professeur, mais cette dimension ne devrait-elle pas être intégrée plus fortement pour aider les enfants à mieux se connaître dès le plus jeune âge ? Et en quoi cela interfère-t-il avec le rôle même de parent ?

Bien sûr, tout lecteur normalement constitué se dit à cet instant précis qu’évoquer de tels projets de transformation de l’enseignement est totalement utopique…. J’imagine que même si c’était la mission des professeurs que de devenir ces détecteurs de talents et qu’ils étaient tous comme ceux que l’on trouve dans les romans de Pagnol, un tel professeur pourrait passer à côté de talents dans une classe bondée de 30 ou 35 élèves… L’idée du professeur développeur/tuteur/accompagnateur n’a de sens que dans une classe à taille humaine permettant de porter une attention suffisante à chacun. Et à leur tour, quelle formation les futurs professeurs devraient-ils recevoir afin d’être capables de porter avec succès une telle mission ?

Indépendamment de ces quelques réflexions, le professeur devra probablement continuer de transmettre les informations et connaissances aux élèves afin qu’ils puissent se bâtir le socle sur lequel pourra s’exprimer un quelconque talent. Mais la remise en cause de la transmission des savoirs se pose nécessaire à l’ère de l’Internet, des smartphones, du haut-débit, permettant en quelques instants d’avoir la réponse à à peu près n’importe quelle interrogation.

Le rôle des professeurs ne serait-il pas plutôt dans ce contexte d’apprendre à se construire un système d’interprétation cohérent capable de soutenir un raisonnement sans faille sur la base des informations traitées ? Et ce afin de pouvoir tirer véritablement profit de ce capital extraordinaire d’informations à disposition. Si des professeurs lisent cet article, ils me diront probablement que cela fait déjà partie de leur enseignement. Mais vous, qu’en pensez-vous ?

Peut-on détecter un talent dans une salle de classe quand celui-ci s’exprime en situation réelle ?

Si je ne prends que mon simple et modeste cas, lorsque j’étais à l’école, je détestais prendre la parole en public. J’appréhendais tant ce moment où le professeur mentionnait mon nom pour que je vienne réciter ma poésie devant la classe…. Or il s’avère qu’au fil de mon parcours professionnel, la prise de parole en public est plutôt à ranger du côté de mes atouts que de mes faiblesses. Comment mes professeurs auraient pu détecter cette compétence ou ce talent puisque c’est la succession hasardeuse d’évènements professionnels qui m’ont amené à le révéler ? Et plus important encore : étais-je doté de cette compétence à cette époque ?

La compétence est une aptitude que l’on mobilise dans une situation donnée. Pour la mobiliser, il faut le pouvoir, c’est-à-dire en avoir suffisamment envie, savoir gérer son stress, être dans des conditions qui ne nous « étouffent » pas, bref, il s’agit bien d’un équilibre instable. 

Je ne suis pas certain que l’enfance ou l’adolescence soient les périodes les plus propices de la vie pour exprimer simplement et sans encombre ses différentes compétences ou talents….. D’abord parce que ce n’est souvent pas la période de sa vie où l’on se sent le mieux, c’est plutôt celle où l’on cherche à se construire une personnalité, une identité, et où on manque souvent cruellement de confiance en soi.

Ensuite parce que l’on est souvent intéressé par d’autres sujets, comme les garçons ou les filles par exemple :).

Alors comment nos pauvres professeurs pourraient surmonter ses obstacles durant les quelques heures que l’on passe avec eux ? L’un des obstacles majeurs restant la capacité à mettre chacun en situation afin qu’il puisse révéler ses dons. C’est pourquoi les initiatives comme celles de Xavier Niel avec l’Ecole 42 ou celle de la Web@cadémie sont à prendre très sérieusement en considération, mettant davantage en avant la mise en pratique plutôt que l’acquisition théorique.

Devrait-on laisser les élèves expérimenter de multiples activités un trimestre durant ?

Et si, pour résoudre le problème ci-dessus, on laissait les élèves choisir les activités qui pourraient les intéresser un mois ou un trimestre durant, l’histoire qu’ils puissent eux-mêmes savoir ce qui leur plaît vraiment ? L’actuelle réforme va dans cette direction avec les EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires), mais on pourrait aller encore plus loin en laissant vraiment du temps à chacun pour prendre éventuellement goût à une discipline.

Cela sous-tendrait en filigrane que l’on ne considère pas qu’une activité est supérieure à une autre… ce qui constituerait un véritable changement de paradigme. En effet, je pense que peu de parents considèrent qu’il vaut mieux être doué en bricolage ou en cuisine qu’en mathématiques, et ce malgré les succès télévisuels de Top chef ou de Masterchef. Pourtant, l’essentiel du bonheur passe à mon sens par un alignement harmonieux de nos goûts et de nos activités. 

Comment maintenir la flamme chez les professeurs, avant même de penser à celle des élèves ?

D’après vous, si Guy Savoy ou Hélène Darroze venaient parler de leur passion de la cuisine, combien d’élèves finiraient cuisinier à la fin de leur scolarité ? La passion est communicative, et des professeurs passionnés par leur discipline intéresseraient facilement des élèves. C’est d’ailleurs pourquoi on se souvient de certains profs de façon émue alors que d’autres nous ont laissé de piètres souvenirs….. On peut donc s’imaginer à rêver d’élèves attentifs, curieux, désireux d’apprendre la discipline dont on leur parle avec passion.

Seulement voilà, de nouveau, comment maintenir la flamme chez des professeurs enseignant souvent dans des classes surchargées, face à des élèves parfois persuadés que l’égalité des chances est un vœu pieu et que leur avenir est déjà mal engagé, certains croulant déjà dès le plus jeune âge sous une multitude de problèmes ? Et comment préparer les professeurs aux situations parfois très délicates qu’ils seront amenés à gérer tout au long de leur carrière ?

On en revient de toute façon à un moment ou à un autre à la notion d’égalité des chances qui, si elle reste le Graal d’une société, est actuellement une utopie…. Et on comprend alors que le débat actuel est l’arbre qui masque la forêt, et que le véritable sujet sous-jacent est la chance que l’on donne ou non à chacun de révéler son talent afin de pouvoir pleinement s’accomplir, et contribuer ainsi positivement à la société. Le sujet d’une vie….